L'Arabie Saoudite, royaume d'un autre âge, aussi controversé que riche, devait accueillir, le week-end écoulé, un sommet virtuel du G20, principalement dédié à la pandémie de Covid-19. Bien que virtuel, ce sommet se tiendra à Riyad, et donc sous la présidence du roi Salmane, ce qui pose problème dans les pays occidentaux, sensibles aux violations des droits de l'Homme. Or, de nombreuses voix se sont fait entendre, y compris au sein du groupe des pays les plus riches du monde, pour contester ce privilège offert à un royaume qui fait fi des droits humains. Non content d'avoir fait assassiner, dans d'horribles conditions, l'un de ses opposants, Adnane Khashoggi, à l'intérieur de son consulat à Istanbul, Riyad mène une guerre meurtrière au Yémen. Grâce au soutien résolu et fortement rétribué de l'Amérique de Trump, suivie comme son ombre par les autres pays occidentaux, l'Arabie Saoudite a réussi à faire oublier l'affaire Khashoggi. Quant à la sale guerre du Yémen conduite par l'Arabie Saoudite, avec un quarteron de pays arabes satellisés, elle se déroule trop loin, et les cris des victimes innocentes sont inaudibles. En revanche, les sociétés civiles des pays démocratiques se mobilisent plus spontanément et plus durablement pour des personnes injustement arrêtées, condamnées pour leurs opinions. Fortement éclaboussé et pour ainsi dire imbibé par le sang de l'ancien journaliste Adnane Khashoggi, le prince héritier Mohamed Ben Salmane peine à imposer son image de réformateur. Sur le plan des droits de l'Homme et du respect des libertés individuelles, le royaume wahhabite a encore beaucoup de chemin à faire, en dépit de certains gestes destinés à l'Occident. En Europe et en Amérique du Nord, les médias ont salué l'autorisation accordée aux femmes saoudiennes de conduire une voiture, alors qu'elles ont acquis ce droit par leurs propres luttes. D'ailleurs, même après l'annonce officielle de cette décision, des femmes qui avaient enfreint l'interdiction et conduit leurs voitures sont restées détenues bien après la mesure royale. Elles sont actuellement cinq à croupir dans une prison, pour avoir bravé l'interdiction de conduire une voiture, en 2018, quelques mois à peine avant qu'elle n'ait été levée. En fait, comme on ne peut pas les condamner pour une infraction qui n'existe plus, on les maintient en détention parce qu'elles ont défié l'autorité et n'ont pas attendu les réformes du prince. L'une d'elles, Loudjaïne Al-Hadhloul, enfermée depuis deux ans, a même subi des sévices corporels et sexuels à plusieurs reprises, comme l'a relevé l'enquête de l'association «Grant Liberty». Le rapport publié dans la presse britannique est largement repris par le quotidien qatari de Londres Al-Quds, actuellement dans sa période anti-saoudienne, en raison du conflit entre les deux pays. Al-Quds qui consacre une page entière aux réactions hostiles à la présidence du G20 par l'Arabie Saoudite reprend également le témoignage de la propre sœur de Loudjaïne Al-Hadhloul, Lina. Cette dernière a annoncé que sa sœur observait une grève de la faim depuis le 26 octobre dernier pour protester contre les mauvais traitements qu'elle subissait, et notamment les viols. «Ma sœur, dit-elle, a obtenu de nombreux prix en matière des droits de l'Homme, elle a été nominée au Nobel. Elle est célébrée partout, sauf dans son pays, où elle croupit dans une cellule, en proie à la torture, aux humiliations et aux sévices sexuels.» Loudjaïne et une dizaine d'autres activistes saoudiennes, qui militaient pour les droits des femmes, ont été arrêtées en mai 2018, et elles attendent toujours de passer en jugement. Elles sont notamment accusées d'avoir «établi des contacts avec des entités étrangères hostiles au gouvernement saoudien», et d'avoir «mobilisé des fonctionnaires pour collecter des informations secrètes». À noter que les autorités ont démenti les accusations de torture, mais elles ont annoncé une enquête pour «mauvais traitements». Plusieurs associations de défense des droits de l'Homme ont demandé aux dirigeants du G20 d'exiger des autorités saoudiennes la libération immédiate des femmes encore détenues. Outre Loudjaïn Al-Hadhloul, il y a quatre autres prisonnières en attente de jugement, à savoir Samira Sada, Samar Badawi, Naoufa Abdelaziz et Maya Al-Zahrani. Mû sans doute par un souci d'équilibre, Al-Quds donne la parole au journaliste et commentateur de football, Abdallah Al-Ghamdi, réfugié politique en Grande-Bretagne depuis 2012. Outre ce prédicateur et réputé psalmodiant du Coran à ses heures perdues, il y a quand même 34 journalistes qui sont emprisonnés dans le pays du libéral Mohamed Ben Salmane (MBS). Ce dernier, engagé à fond et non sans succès dans l'opération de normalisation des relations des pays arabes avec Israël, veut réformer, mais il veut surtout réécrire l'histoire du wahhabisme. Selon ce que nous a appris un commentaire du quotidien Al-Charq Al-Awsat, mercredi dernier, le wahhabisme, la matrice idéologique de la tribu dominante, a été infiltré. L'ennemi principal, le mal originel, c'est le sororisme,(*) qu'on a laissé se développer d'abord dans l'arrière-pays, et le sororisme, c'est la couverture du mouvement des Frères musulmans. Après avoir conquis le pays profond, ils sont entrés dans la citadelle. Ce sont donc les Frères musulmans, c'est la même organisation que l'on retrouve aujourd'hui en Autriche, en France, en Grande-Bretagne, et ailleurs en Europe, là où le terrain est favorable. Là, on commence un peu à les prendre au sérieux, puisque la réalité se déroule sous nos yeux et que l'organisation s'est implantée, développée et a étendu son influence partout. Puis le quotidien en vient à l'évidence : «Les Européens sont pleins de contradictions, ils se plaignent du terrorisme islamiste, mais en même temps ils laissent des groupes islamistes extrémistes enseigner, collecter des fonds, et diriger des communautés. Ils obtiennent même le soutien du gouvernement pour leurs associations, dites de bienfaisance. Résultat : l'extrémisme engendre le terrorisme.» Tout ça, les Européens le savaient, bien sûr, mais ils refusaient de le voir, les deux yeux rivés sur l'argent des Saoudiens, et «sororisme», ou «frérisme», c'est l'argent saoudien, l'argent du wahhabisme, qui a tout engendré. A. H. (*) De Sorour Mohamed Zine Al-Abidine, un dirigeant syrien influent du mouvement des Frères musulmans qui a quitté l'organisation internationale pour fonder le courant qui porte son nom, un courant fondamentaliste, djihadiste, très influent en Arabie Saoudite.