Quelque part à l'ouest d'Alger, il y a un boulodrome dans un quartier, à moins que ce ne soit un lieu-dit. Ici, on n'appelle pas le boulodrome un boulodrome, pour plusieurs raisons. La première, et sans doute la plus importante, est que ce n'est pas vraiment un boulodrome. Il paraît qu'un boulodrome, ça a ses distances réglementaires, ses critères et ses exigences techniques. Ce n'est pas le cas. Ensuite parce qu'ici, on n'aime pas trop les mots savants. D'abord parce qu'on n'en connaît pas beaucoup, ensuite parce que c'est plus simple d'appeler le boulodrome ou ce qui aurait pu en être un « Ettirin », du mot français terrain, désignant une aire de jeux. Enfin, on ne l'appelle pas boulodrome parce qu'on ne peut pas appeler « son jardin » comme l'appellerait n'importe quel quidam de passage. C'est connu, on invente des surnoms et des appellations pour les êtres chers et pour les animaux adorés. Il faut donc en trouver pour les espaces intimes. Ça ajoute de l'affection à la passion et à l'amour. Puis vient la nécessité, on ne sait pas dans quel ordre. « Ettirin », c'était déjà un peu trop général, presque banal. Alors, il y a quelqu'un qui a sorti son coup de génie, bien parti pour l'éternité. Les plus « scotchés » à l'endroit l'appellent donc « ettahtaha ». Le quartier — ou le lieu-dit, c'est selon l'inspiration du moment — n'est pas vraiment un endroit à évoquer la pétanque. Ce coin sans prétention, écarté de la mer et un peu perdu entre une ruralité paradoxale et une urbanité approximative, ne suggère d'ailleurs aucune vocation, aucune passion, aucun trait de caractère. Un « bourg » comme il y en a beaucoup, capable du... meilleur et du pire. Comment se fait-il qu'on y joue alors à la pétanque ? Avant de répondre à la question, il faudra qu'on se mette d'accord sur le sens des mots : ici on joue aux boules, pas à la pétanque ! Parce qu'il y a une différence ? Ici, on ne se sent pas obligé de répondre aux questions ; on joue aux boules et ça s'arrête là. Depuis quand ? On répond parfois aux questions mais ce n'est jamais par obligation : depuis toujours. Il paraît qu'il y a eu ici un... boulodrome mais personne ne s'en souvient. Par contre, tout le monde vous parlera d'« Ettirin » et d' « Ettahtaha ». On y joue en temps normal mais ça se voit plus en temps anormal, comme c'est le cas depuis 15 jours. Il y a les « sélectionnés » qui ont les boules, ou « lahdayed » en main, jouent, crient et protestent, crient et rigolent, gagnent ou perdent. Les autres sont autour et observent, plus témoins que spectateurs. Privés d'angle de vue, le reste de la foule a le choix entre le « debrief » d'une actualité politique particulièrement endiablée, la soirée Ligue des champions en perspective et quelques commentaires cocasses sur la saison 2 d'Achour El Acher. S. L.
