Aucune minute du temps écoulé n'a effacé ses derniers mots, son dernier regard plein d'interrogations, scrutant la fumée qui s'élevait dans une salle en panique... C'était il y a vingt-neuf ans, Mohamed Boudiaf, l'espoir assassiné. Alors bien sûr, plus aucune année ne passe, sans que les écrits pleuvent à Alger, souvent dans le pourtour de la Méditerranée et même ailleurs, outre-mer où le meurtre de l'un des plus populaires présidents algériens est considéré comme le plus dramatique depuis l'assassinat d'Anouar Sadat. Pas de comparaison ni d'analogie entre les deux terribles évènements. Seul subsiste un goût amer, des ébauches d'un ouvrage demeuré au stade de canevas, d'un sort scellé ce jour où Boudiaf prononçait sa fameuse phrase : «Je tends ma main aux Algériens, sans exclusion.» C'était un certain 16 janvier 1992, le jour de son retour à Alger, après de longues années passées au Maroc, le jour où les Algériens découvrent le visage d'un des derniers vétérans de la guerre de Libération encore en vie. Pour beaucoup, il est l'incarnation même de cette histoire écrite à la gomme, le visage parlant de ces hommes qui n'avaient, jusque-là, pas de place dans les manuels étudiés, mais ce jour-là, l'essentiel des questions est ailleurs. Boudiaf arrive à l'heure où le pays se trouve plongé dans une grave crise. Absent de la scène politique algérienne depuis l'avènement de l'indépendance, il incarne également l'image de cet homme propre n'ayant pris part à aucune magouille, et surtout résolument tourné vers la modernité. Déchaînés par l'annulation des élections législatives (12 janvier 1992), les islamistes menacent grandement la sécurité du pays et entreprennent de verser dans la violence. Le sommet de l'état est vide depuis la démission de Chadli Bendjedid (11 janvier 1992). Un Haut Conseil d'état (HCE), autorité politique provisoire, est en place, Boudiaf en prend la tête. Pour couper l'herbe sous le pied des intégristes, il met en place les fameux camps d'internement au Sud où sont conduits les radicaux. Un climat de terreur s'installe au sein des militants du FIS (Front islamique du salut), Boudiaf a su porter un coup sévère là où il le fallait, mais il poursuit sa mission sur un terrain où nul ne s'était encore aventuré, la corruption. Nouvelle décision forte en mai 1992. Il ordonne l'arrestation du général Belloucif et son incarcération à la prison de Blida pour détournement de deniers publics. Boudiaf boucle ses six mois à la tête du HCE, et il lance le Rassemblement populaire national (RPN), un parti qui se veut rassembleur mais en restera au stade embryonnaire. Le 29 juin 1992, et alors qu'il prononce un discours télévisé à partir de Annaba, un homme, vêtu d'une tenue de tireur d'élite, surgit derrière son dos. Boudiaf scrute à ce moment la fumée qui se dégage des deux grenades lancées dans la salle. Lembarak Boumaârafi tire trois balles, l'une se loge dans la tête de celui qui avait fait le serment de casser les reins aux islamistes, et de balayer les corrompus des sphères du pouvoir. Il n'achève pas sa dernière phrase : «Les autres pays nous ont devancés par la science et la technologie. L'islam...» En Iran, le régime des mollahs applaudit le forfait... Abla Chérif