Ça ne les a gênés ni de le traîner jusqu'à la place du village ni de se mettre en scène tout en le lynchant. En quoi exécuter quelqu'un de façon aussi barbare peut-il apaiser le ressentiment ? J'essaie de comprendre ce qui suscite l'aveuglement et justifie que l'on s'acharne en groupe sur le corps de quelqu'un. Comment se sent-on quand on apprend que la personne que l'on a tuée était venue là pour exprimer sa solidarité ? Je ne mettrai pas l'acte ignoble, qui a mis fin à la vie d'un jeune homme venu, de sa ville lointaine, remettre le résultat de sa collecte à une ville désespérée sur le compte d'une folie passagère engendrée par une détresse locale. Opter pour une explication aussi bancale ne résoudra pas le problème de la violence, qui tient le bras à des voyous avides de sang, que l'on n'aura pas éduqués à faire le tri entre la réalité et le fantasme. Comment rester à distance d'une hystérie qui ne dit pas son nom mais se cultive à l'ombre d'une victimisation et d'un particularisme qui excuseraient les violences qui en résultent ? Heureusement, le lynchage du jeune Djamel n'a pas été collectif. Il a été circonscrit à un groupe de locaux conditionnés au meurtre et éduqués au sentiment que tout étranger à la région ne pouvait être que malveillant. À éliminer donc ! Sans laisser à sa présence la moindre intention fraternelle. Des individus qui portent en eux une colère qui ne justifie pourtant pas que l'on prenne la vie d'autrui. J'espère vraiment que ceux qui se seront autorisés à se faire justice paieront pour leur abjection. Ni la pandémie ni les feux qui ravagent le pays ne doivent inspirer la moindre complaisance à l'égard de ceux qui tuent parce qu'ils ont la certitude que personne d'autre ne le fera à leur place. Ils n'ont aucune preuve que celui dont ils vont faire leur victime est coupable, mais ils y vont quand même. Quand la communauté qui se démène pour remettre de l'ordre là où presque tout a été emporté par les flammes se démarque de l'horreur, dit ses regrets et présente ses excuses à un père, ébranlé, venu récupérer le corps de son fils, on se demande quel autre triste évènement passera à la trappe celui-là ? M. B.
