Les milieux politiques tunisiens ne semblent pas affectés par la torpeur du jeûne et la perspective de l'élection présidentielle, en novembre prochain, les plonge dans une fièvre de plus en plus agitée. Pourtant, on observe, de temps à autre, une certaine prudence teintée d'une acre ironie chez les candidats putatifs les plus en vue, celui de Ennahdha et celui de Nidaa Tounes qui, l'un comme l'autre, se défendent de nourrir une quelconque ambition à ce sujet et rivalisent de propos pour balayer toute équivoque à ce sujet. A plusieurs reprises, donc, Rached Ghannouchi et Béji Caïd Essebsi ont déclaré qu'ils ne seront nullement sur la ligne de départ, donnant ainsi libre cours à toutes les ambitions et à tous les phantasmes. Il n'en demeure pas moins que leurs plus fervents partisans ne veulent pas en démordre et restent persuadés que, «le moment venu», l'un comme l'autre sortiront opportunément du bois! Mais voilà que, jeudi dernier, Rached Ghannouchi a jugé bon d'enfoncer le clou: il a déclaré à qui veut bien l'entendre que son parti, Ennahdha, est «à la recherche de l'oiseau rare» dont il souhaite faire son candidat naturel à la prochaine élection. Cette annonce malicieuse, distillée avec le sourire qu'on lui connaît en toute circonstance, a eu pour effet immédiat de déclencher un véritable tintamarre aux quatre coins du pays, nombre d'oiseaux, y compris ceux de mauvais augure, se mettant aussitôt à «chanter» pour prétendre à l'investiture du patriarche islamiste. Ghannouchi n'a pas donné de précision quant à la nature de l'oiseau en question: merle moqueur, épervier, perroquet bleu, perruche maquillée, peu importe! Fini l'ancrage dans tel ou tel courant, le porte étendard de telle ou telle certitude. L'appel d'offres de Rached Ghannouchi a pour effet majeur de créer une vraie panique dans les bois où les volatiles de tout acabit se sont mis à travailler leur sonorité, non pas en vertu de leur parcours politique avéré mais selon les critères de nature à séduire le chef des Frères musulmans tunisiens. Sacré Ghannouchi qui cherche, en jetant ce pavé dans la mare, à cerner les uns et les autres, pour peu qu'ils soient volontaires au suicide, puisque leur candidature, une fois adoubée, les conduirait à un aller simple vers les oubliettes de Carthage, sitôt la mission accomplie. Son geste a néanmoins un mérite. Il apporte la ferme confirmation que le deal conclu avec Youssef Chahed, durant les années précédentes, n'a plus droit de cité dès lors que le chef du gouvernement a pris son envol sous les acclamations du nouveau parti Tahya Tounes, en charge de son destin carthaginois. Chahed a été un partenaire plus ou moins docile jusqu'au moment où il s'est affranchi du carcan de Nidaa Tounes et de l'influence bienveillante de son mentor Béji Caïd Essebsi, après avoir vaillamment résisté aux multiples assauts du fils de ce dernier. Du coup, Rached Ghannouchi n'a pas d'autre choix que de repartir à la chasse, le sourire en bandoulière, pour dénicher «l'oiseau rare» qui servira de porte-voix inconditionnel jusqu'à preuve du contraire. Une tâche qu'il connaît à merveille et dont il adore, en outre, user et abuser, au gré des évènements. Il se trouve que la Tunisie traverse une période difficile depuis plusieurs années et qu'elle redoute, plus que les autres pays voisins, la situation qui prévaut actuellement dans la Libye voisine. Situation qui inquiète au plus haut point la majorité des hommes et des femmes politiques du pays, mais laisse de marbre le dirigeant de Ennahdha, plus préoccupé par l'enjeu de novembre prochain que par les rodomontades du maréchal Haftar.