Hier, le Haut Conseil d'Etat libyen (HCE), instance faisant office de Sénat et dont les rapports avec la Chambre des représentants (Parlement) sont quelque peu tendus, a proposé le report, au mois de février, de l'élection présidentielle, en raison de désaccords persistants entre camps rivaux. «Le processus politique tout entier risque d'être sapé» si la date est maintenue, en raison des «tensions, de la méfiance entre les parties et des ingérences étrangères», a déclaré Omar Boshah, le premier vice-président du HCE. Or, c'est dans deux semaines que la Libye doit organiser l'élection présidentielle qui, avec les législatives reportées à fin janvier 2022, constitue un élément clé de la sortie de crise telle que prescrite par la feuille de route du Forum de dialogue politique inter libyen (FDPL) sous l'égide de l'ONU.Un scrutin qui sera, s'il a lieu, surveillé aussi bien par l'instance onusienne que par des observateurs dépêchés par l'Union européenne quand l'Union africaine n'a pas encore dit son mot. L'objectif majeur est de faire entrer le pays dans un cadre démocratique mais l'aventure n'est pas de tout repos, sachant combien la Libye est tributaire d'une organisation tribale avec des logiques instrumentalisées par des intérêts et des objectifs étrangers de diverses obédiences. Cette réalité transpire dans le maintien, malgré des appels incessants et, prétendument, pressants de la communauté internationale, des mercenaires et autres forces étrangères (20 000 Soudanais, Tchadiens, Syriens et autres...), situation qui compromet à elle seule la faisabilité de l'opération, notamment dans l'est et le sud de la Libye. Et rien ne dit, au cas où la population choisit sereinement son président, que les milices qui règnent sans partage aussi bien en Tripolitaine que dans la Cyrénaïque et le Fezzan ne viendront pas torpiller le résultat pour peu qu'il aille à l'encontre de leurs attentes. Un exemple se déroule actuellement sous nos yeux en Irak et prouve que «rien n'est jamais acquis», malgré les optimismes de circonstance. A ces incertitudes s'ajoute l'appétit vorace des barons politiques et autres qui ont fait de la corruption un autre nerf de la guerre. Le fait est que la Aççabiya, décortiquée par Ibn Khaldoun, demeure une caractéristique fondamentale de la société libyenne, constamment divisée par les desseins et les appétits extérieurs et dont les conséquences immédiates aggravent la situation des villes, des tribus ou des régions concernées. Le 24 décembre, lorsque les centres de vote ouvriront réellement leur porte, ce ne sera pas pour recueillir des bulletins et des suffrages exprimés selon l'adhésion idéologique des uns et des autres mais pour confirmer la segmentarisation sociale et politique d'un pays qui, dans le meilleur des cas, trouverait une certaine issue dans une expression clientéliste. Car la Libye est encore loin de disposer d'un Etat de droit, quoi qu'on en dise, et il suffit pour s'en convaincre de rappeler les difficultés que les parties prenantes à la crise trouvent dans l'élaboration d'un cadre constitutionnel pourtant indispensable à la légitimation des scrutins. Ne parlons pas des a priori qui résultent des décisions d'une Chambre des représentants basée à Tobrouk, c'est-à-dire à 1200 km de Tripoli, la capitale, et dont la promulgation d'une loi électorale reste suspecte tant elle fait la part belle à ses mentors, Haftar et Aguila. De son côté, Dbeibah, chef du gouvernement, a imposé sa candidature en attisant la sympathie du Conseil suprême judiciaire ratifié d'une rémunération surmultipliée, avec effet rétroactif de 28 mois! La Libye qui est au carrefour des échanges afro-méditerranéens et se heurte à des vagues de migrants ininterrompues aura bien du mal à sortir du carcan des convoitises étrangères, et sa seule chance d'y parvenir s'inscrit dans le cadre naturel du groupe des pays voisins, de la Ligue arabe et de l'Union africaine, d'abord et surtout.