De la lutte contre la vie chère à celle contre la corruption endémique, nombreux sont les défis qui attendent le vainqueur de l'élection présidentielle convoquée mardi au Kenya, pour maintenir le cap de cette dynamique économie d'Afrique de l'Est. « Pas de nourriture, pas d'élections». Une aide gouvernementale a été promise le 20 juillet pour réduire le prix de la farine de maïs, qui sert à préparer l'ugali, plat de base dans le pays. Mais ces coups de pouce sont temporaires, «populistes» et «simplistes» au moment où l'inflation grimpe à des niveaux inédits depuis cinq ans pour atteindre 8,3% en juillet. Les impacts du conflit en Ukraine sont venus assombrir les perspectives de reprise économique. De 7,5% en 2021, la croissance devrait s'établir à 5,2% en moyenne pour 2023-2024, selon la Banque mondiale qui prévoit une détérioration de la balance commerciale cette année. Le Kenya importe habituellement un cinquième de ses céréales de Russie et 10% d'Ukraine, selon les chiffres officiels. L'agriculture (plus de 22% du PIB) pâtit aussi de l'envol des prix des engrais et se voit par ailleurs menacée par la sécheresse. D'ici 2050, la moitié de la population vivra en ville, ce qui entraînera «une myriade de défis» dont l'éducation et l'accès à la santé, note Oxfam. Selon l'ONG, 34% des 17 millions de personnes pauvres au Kenya vivent dans des zones urbaines, pour la plupart dans des logements informels. Pour accompagner le développement du pays, les gouvernements successifs depuis 2008 poursuivent l'ambitieux programme Vision2030, principalement axé sur les grands projets d'infrastructures. Conséquence: sous les deux mandats d'Uhuru Kenyatta, la dette a plus que quadruplé pour avoisiner 70 milliards de dollars. La Chine est désormais le deuxième bailleur du Kenya, derrière la Banque mondiale. Pékin a notamment prêté 5 milliards de dollars pour l'emblématique ligne de train reliant Nairobi au port de Mombasa. Le Fonds monétaire international, qui a prêté l'année dernière 2,34 milliards de dollars au Kenya, a salué en juillet la poursuite du rebond économique et l'augmentation des recettes fiscales. Mais «le Kenya reste exposé à des risques élevés de surendettement, et c'est pour cela qu'il est important qu'il reste fermement sur la trajectoire fixée pour réduire la vulnérabilité de la dette», commente Mary Goodman, cheffe de la mission du FMI. La justice s'est par ailleurs penchée sur quelques affaires troubles, dont le vol dans un entrepôt gouvernemental de l'agence kényane d'approvisionnement en médicaments (Kemsa) et l'enrichissement d'un candidat à la vice-présidence. Si des dizaines de hauts responsables ont été inculpés depuis 2018, dont l'ex-ministre des Finances Henry Rotich, «aucun gros poisson n'a été pris», relève Alexia Van Rij. Avec les trois-quarts de la population âgés de moins de 34 ans, la jeunesse est l'un des atouts du Kenya, son insertion dans l'emploi l'un de ses principaux défis. Ils sont environ 500 000 chaque année à décrocher un diplôme dans le supérieur. Selon des chiffres officiels publiés en 2020, 5 millions de jeunes étaient sans emploi. La jeunesse est une «bombe à retardement démographique, sociale et économique», estime Alex Awiti, chercheur kényan en politique publique. Fait inédit depuis 2002, le prochain chef de l'Etat ne sera pas kikuyu, l'ethnie la plus nombreuse du pays. Les deux grands favoris de l'élection, Raila Odinga et William Ruto, sont respectivement Luo et Kalenjin. Seuls leurs colistiers sont issus de cette influente communauté au solide réseau économique. Le successeur de Kenyatta devra donc bâtir un nouvel équilibre politico-éthnique dans un pays aux 46 ethnies, où l'appartenance communautaire, instrumentalisée depuis par les Britanniques, est un pion essentiel de l'échiquier politique.