Samedi, des millions de moutons ont été égorgés pour l'Aïd El-Adha. La veille, dans la série des otages sacrifiés par "l'Etat islamique", un homme, un citoyen britannique, était égorgé au nom de l'Islam. Cela fait bien trop d'années que, dans le monde musulman, la morale du geste d'Abraham et l'amoralité du terrorisme cohabitent dans ce qui semble tenir d'une espèce de tolérance asymétrique : les autorités du monde musulman oscillent entre manipulation et recherche de compromis ; et, en face, l'islamisme belliqueux, lui, ne cache pas la nature impérialiste de son projet. Si des régimes musulmans ont consenti à s'engager dans l'offensive contre l'EI, c'est par crainte d'un mouvement disposant d'une base suffisante - un vrai Etat, avec son territoire, son armée, sa police, son administration, ses écoles, son économie - pour porter sa menace jusque sur leurs territoires. Un réflexe de simple autodéfense. Et de rachat d'une moralité perdue à force de compromissions dans les stratégies islamo-terroristes. Les pouvoirs de pays musulmans se voient pris à leur propre piège. D'une part, en tentant eux-mêmes d'accaparer l'arme idéologique islamiste pour la manipuler et asseoir la légitimité de leur autocratie : comment combattre une vision et, en même temps, prétendre l'incarner ? D'autre part, en refusant, par couardise, d'affronter un adversaire qui se donne le choix des armes, préférant à cela combattre les militants de la démocratie, souvent pacifistes, et toujours désarmés. Quant à la pléthore de chefs religieux, exégètes, prêcheurs, parfois autoproclamés et souvent promus par ces mêmes régimes, et qui prospèrent sur le marché du "conseil en islamité", ils voient, dans l'ambition de la religion de régir les sociétés, une source de pouvoir et une aubaine économique bien trop avantageuses pour y renoncer. Ils attendent de ce futur monde du "tout-islamique" qu'il fasse d'eux la référence du pouvoir total. Pour eux, combattre l'islamiste reviendrait à tuer la poule aux œufs d'or ! Pour ces raisons, ni le pouvoir politique ni la "pensée" religieuse, dans le monde musulman, n'ont intérêt à favoriser le soulèvement que l'on peut attendre d'une civilisation agressée de l'intérieur, dans ce qu'elle est, dans son humanité. Pourtant, la décapitation d'Allan Henning est un outrage, au sens du sacrifice d'Abraham. Saint sacrifice qui délivrait un double sens : l'enfant que le prophète allait égorger pour exprimer son obéissance à Dieu n'était pas "un Autre", mais son propre fils, donc, son prolongement et, symboliquement, lui-même ; et quand l'ange substitua le bélier à l'enfant, le message était allégorique : pour qu'aucun humain ne fût plus jamais sacrifié au nom de Dieu. C'est là, le genre de signes qui, en Islam, peuvent concilier religiosité et humanité. Et que les barbares de l'EI ont choisi de défaire, la veille de l'Aïd. Il est tragiquement symbolique qu'un humanitaire ait été assassiné par un prétendu serviteur de la religion ! Mais cela ne nous a pas empêchés de passer un Aïd ordinaire. Comme si les musulmans et l'islamo-terrorisme pouvaient mener une vie parallèle. En attendant de se..."réconcilier", peut-être, un jour. Il est tout aussi tragiquement symbolique, qu'au lieu d'avoir le projet de faire triompher le bien contre le mal, nous ayons eu celui de les réconcilier. M. H. [email protected]