Mehdioui Nabil est enseignant au département de langue et culture amazighes à l'université de Béjaïa. Prenant part à la résidence de traduction qu'organise le HCA à Adrar, M. Mehdioui évoque, dans cet entretien, les difficultés que rencontrent les traducteurs, mais aussi l'aptitude de tamazight à répondre aux exigences qu'imposent la traduction et la production des textes officiels. Liberté : Vous êtes collaborateur du HCA dans le domaine de la traduction, quelles sont, selon vous, les difficultés de traduire des textes juridiques vers tamazight ? Nabil Mehdioui : La première difficulté réside dans le souci de la précision. Vous savez que traduire une œuvre littéraire procure au traducteur une certaine liberté d'interprétation que n'a pas le traducteur d'un texte officiel. S'ajoute à cela le problème du lexique à utiliser et qui, parfois, est à inventer. Justement, parlons de la problématique du lexique : est-il nécessaire que chaque fois qu'un mot manque, il y a lieu de l'inventer comme néologisme avec tout ce que cela peut engendrer comme rejet de la part des locuteurs ? Il n'y a pas de recours systématique à la néologie, qui est laissée comme dernier recours par le traducteur. Nous entamons notre travail par l'examen de tous les lexiques et dictionnaires existants. S'ensuivra un travail de recherche dans les différentes variantes amazighes algériennes. Et même au-delà, puisque les travaux de nos frères amazighs marocains sont mis à contribution pour combler les lacunes. Idem pour eux, qui recourent souvent aux travaux que nous réalisons ici en Algérie sur ces aspects afin d'éviter l'usage d'un néologisme qui pourrait être rejeté par les locuteurs. Je voudrais souligner que la complémentarité et la communion entre les chercheurs amazighs de tous les pays d'Afrique du Nord sont telles qu'elles brisent les frontières et imposent de fait une unité basée sur la langue et la culture communes. Et concernant ce rejet du néologisme par les Amazighs, il y a lieu de préciser que ce phénomène existe dans toutes les langues du monde. Aussi, tamazight ne peut déroger à cette règle. On se rappelle qu'il aura suffi que le mot azul soit utilisé par les militants pour qu'aujourd'hui il soit adopté par tous, y compris les Touareg, sans pour autant crier au scandale. Toutes les langues recourent à l'emprunt et à la néologie pour accompagner leur développement, notamment technologique et scientifique. L'avènement des nouvelles technologies de communication et de l'information impose l'emploi de mots étrangers à différentes langues, comme l'internet, facebook, téléphone…, qui sont adoptés par toutes les langues du monde et qui sont considérés comme des emprunts, sans que cela titille l'ego des puristes. Vous avez plaidé pour la généralisation de l'usage de tamazight sur tous les supports, notamment les textes fondamentaux et officiels. La langue est-elle apte à répondre aux exigences lexicales et techniques que cela suggère ? Le travail que nous avions fait, avec Mokrane Chikhi, sur la traduction de la loi 15-12 du 15 juillet 2015 portant protection et promotion des droits de l'enfant, à la demande de la Délégation nationale à la protection de l'enfance, avec le concours du HCA, montre que désormais tamazight en tant que langue peut répondre aux exigences de traduction et de rédaction de textes juridiques. Et cela avec toute la précision que cela exige. Désormais, la preuve est là, et la langue est prête à prendre cet aspect en charge. Nous plaidons, dans ce sens, à ce que tous les textes de références et fondamentales, notamment officiels, soient traduits ou produits en tamazight. Je dois rappeler que plusieurs textes officiels sont déjà traduits, comme la Constitution, la déclaration universelle des droits de l'homme, l'appel du 1er-Novembre, la plateforme de la Soummam… Ceci dit, nous sommes en droit d'attendre de l'Etat de produire une version amazighe du Journal officiel, dans le souci d'équité de traitement des deux langues nationales et officielles.