En fait, le roman de Hammouche, bien qu'il mette en scène une femme en apparence fragile, inexpérimentée, sans soutien familial également, démontre que ni l'âge ni la position sociale ne peuvent ébranler les convictions profondes d'une personne. Abdelkader Hammouche revient aux éditions Barkat, avec sa huitième production littéraire, où le personnage principal, comme dans nombre de ses romans (Amel, Les voleurs de la liberté...), fait face à une société, un environnement aliénant, méprisant, voire assujettissant. Dans un Alger qu'elle connaît très bien pour y étudier depuis plusieurs années, Nesrine, belle brune de 23 ans, à la longue chevelure noire de jais, au quotidien paisible, se retrouve du jour au lendemain victime d'une machination fomentée par "les services". Dans une course contre la montre où liberté, amour et famille risquent de disparaître tout à la fois, elle doit trouver les ressources mentales et physiques nécessaire afin de s'extirper de la proposition des services, celle de travailler pour leur compte, et de rompre avec son fiancé français, soupçonné d'espionnage économique. Dans ce compte à rebours romanesque, où les personnages, qu'ils soient protagonistes ou antagonistes, participent chacun à sa manière à construire cet univers fait de machination, de complot, d'analyses et de réflexion, en filigrane, sur la déliquescence d'institutions prêtes à sacrifier des citoyens, comme de la chair à canon au nom de "ces intérêts supérieurs". "Si vous dénoncez, c'est un exemple, un ministre qui a volé de l'argent du contribuable, dit l'avocat, on vous accusera de porter atteinte aux intérêts supérieurs du pays, car votre dénonciation pourrait déstabiliser le pays." Verbatim, l'avocat de Nesrine, explique ce que ce terme ambigu, ces mots tant de fois entendus sur les lèvres de responsables, n'est en réalité utilisé que pour protéger les propres intérêts de ceux-là mêmes qui s'enorgueillissent tant de vouloir écarter toute hypothétique déstabilisation de notre nation. Parallèlement à cette relation de force qu'entretiennent d'obscures parties avec la jeune Nesrine, l'auteur évoque, bien trop brièvement à notre avis, le harcèlement, sexuel cette fois-ci, que subit la jeune femme, lorsqu'elle se rend au bureau du président d'une ligue de défense des droits de l'homme. Aussi, au cours de ces sept jours qui vont décider de la vie et de l'avenir de la jeune fille, nous découvrons un système et des institutions qui ne peuvent, à leur tour, faire face à cette menace tentaculaire que sont "les services". De l'avocat, qui se refuse de poursuivre l'affaire, au directeur du bureau des droits de l'homme, qui conseille à Nesrine de s'exiler, en passant par le directeur d'un journal étatique, partisan du "ce qui ne me touche pas ne m'intéresse pas" (p. 118), les "défenseurs des libertés" sont, en réalité, tout aussi démunis face aux menaces que représentent "les services". Seule avec ses deux amis, Nawal et Karim, et sa détermination sans bornes, Nesrine, naïve, idéaliste, voire frileuse, devient au fil des pages, et face aux conséquences de son refus d'obtempérer à "l'ennemi", une femme déterminée, préférant sacrifier ses études, son logement et même le fiancé français, par qui le malheur est venu, dans le seul but de préserver sa liberté. Face au chantage de cette force obscure, qui a "droit de vie ou de mort sur les personnes", la jeune femme découvre que seules de profondes convictions et une inébranlable détermination peuvent la tirer de ce quotidien cauchemardesque qu'on lui fait vivre. En fait, le roman de Hammouche, bien qu'il mette en scène une femme en apparence fragile, inexpérimentée, sans soutien familial également, puisque sa famille est installée à Bordj Bou-Arréridj, démontre que ni l'âge ni la position sociale ne peuvent ébranler les convictions profondes d'une personne, quand celles-ci deviennent l'antienne d'une vie.
Abdelkader Hammouche, Les intérêts supérieurs, éditions Barkat, 2018, 170 pages.