Le ministère des Finances a annoncé, samedi dernier, l'installation d'un comité de veille et de suivi chargé de contrôler l'évolution des transferts en devises vers l'étranger. Des rumeurs circulent ces dernières semaines sur une situation d'emballement des transferts de capitaux, par canal bancaire, vers l'étranger, ce que la Banque d'Algérie a démenti. Dans cette interview, Badreddine Nouioua, ancien gouverneur de la Banque d'Algérie, analyse la démarche du ministère des Finances et doute qu'il y ait une réelle volonté de venir à bout de ce fléau. Liberté : Le ministère des Finances a annoncé l'installation d'un comité de veille et de suivi chargé de contrôler l'évolution des transferts en devises vers l'étranger. Pourquoi le fait-il maintenant précisément ? La situation politique actuelle est-elle propice à la prolifération d'actes délictuels liés au change et au transfert de devises vers l'étranger ? Badreddine Nouioua : Vous avez raison de poser cette question, car la situation politique actuelle favorise les opérations de fuite de capitaux vers l'étranger. Par ailleurs, l'installation de ce comité dit de veille et de suivi des transferts de devises vers l'étranger s'inscrit probablement dans le cadre de toutes ces opérations destinées à faire croire aux populations qu'une nouvelle politique va être suivie et que la lutte contre les opérations de fraude et de corruption serait un de ses fondements. L'installation de ce comité de veille ne révèle-t-elle pas ce manque de coordination entre les différentes institutions chargées de lutter contre ce genre de fléau ? Ce que je peux vous dire, c'est qu'un comité installé au ministère des Finances ne peut lutter efficacement contre la fraude. Tout le monde sait que si fraude il y a, c'est par manque de contrôle sérieux, une complicité au niveau des banques commerciales, ainsi que des douanes. Il suffit, parfois, d'un appel téléphonique pour faire passer telle ou telle marchandise sans même être contrôlée. Il faut, à mon avis, commencer par l'assainissement de toutes les institutions chargées du contrôle des opérations du commerce extérieur, des opérations de change et de transfert de devises vers l'étranger, à savoir les banques, les douanes, le ministère du Commerce et de toutes les administrations chargées, en amont comme en aval, du traitement et du suivi des opérations du commerce extérieur. Le problème est beaucoup plus profond car, à titre d'exemple, ce qui se passe dans nos aéroports ne se trouve nulle part ailleurs dans le monde. Par un simple coup de téléphone, vous pouvez faire passer ce que vous voulez sans être inquiété par un agent de police et des douanes. La réglementation actuelle quant au transfert de devises vers l'étranger est-elle efficace pour lutter contre ce fléau ? Le problème est profond et général ; il y a des personnes qui sont autorisées à transférer des milliards à l'étranger, alors que le petit citoyen court derrière une allocation voyage de moins de 150 euros. Le mode opératoire de ces transferts tourne autour des opérations d'importation de marchandises et de services auprès de fournisseurs étrangers. Les commerçants algériens procèdent souvent soit par la surfacturation des biens et consommables importés, soit par la création de sociétés de services fictives à l'étranger, avec lesquelles des transactions d'importations de marchandises et/ou de services sont effectuées. Ces sociétés fictives, qui sont souvent créées en France, aux Emirats arabes unis… servent à justifier les contrats d'importation en établissant de faux documents. Quelles sont les autres mesures techniques et juridiques susceptibles de muscler l'arsenal de lutte existant contre le transfert illégal de devises vers l'étranger ? Une meilleure coordination entre les services des douanes et les banques est le minimum syndical requis. Cette coordination est élémentaire. Ensuite, toute importation doit être soumise à des contrôles profonds pour vérifier la régularité des opérations. Cela doit se faire au moins pour les grosses opérations d'importation. Je persiste et signe que les actes délictuels liés au change et au transfert de devises, via le canal bancaire, tournent autour des métiers de l'importation des biens et services. Pour pouvoir y remédier, il faut assainir les institutions en charge du contrôle des opérations du commerce extérieur, à savoir le commerce, les douanes et les banques.