Les noms des lieux revêtent une importance géographique et historique capitale, au point de constituer un enjeu crucial dans la défense de l'identité et de la culture ancestrales. C'est ce qu'a déclaré, samedi, la chercheuse tunisienne, Khadidja Ben Saïdane, lors d'une conférence organisée par la Fédération des Amazighs de l'Amérique du Nord (FAAN) dans le cadre de la 4e édition du Festival amazigh de Montréal. "Le rôle de la toponymie consiste à donner une autre façon de relire notre histoire", a soutenu Mme Ben Saïdane. Aux yeux de la conférencière, la toponymie amazighe en Afrique du Nord est "peu connue", citant à ce propos la réflexion de Salem Chaker. Cette sorte d'archéologie verbale est caractérisée par trois dimensions géographique, linguistique et historique, a estimé l'intervenante. "La toponymie berbère a connu des origines multiples", a-t-elle dit, non sans préciser que l'arabisation du sous-continent a duré plus de sept siècles. "Nous avons un lexique riche qui tient ses racines de la distance historique du libyque. C'est pourquoi que, pour faire de la géographie historique, il faut passer par la langue amazighe, en tant qu'outil linguistique, pour transcrire la mémoire des lieux", a expliqué la chercheuse en histoire. Pour étayer son propos, l'ancienne membre du Congrès mondial amazigh (CMA), qui a travaillé sur les pléonasmes et les hydronymes, a relevé les anomalies qui ont caractérisé le corpus toponymique de certaines régions d'Algérie et du Maghreb. L'oratrice a cité l'exemple de Oued Souf, alors que Oued et Souf ont la même signification. Idem pour Birghbalou, composés de deux mots, le générique et le spécifique, voulant dire la même chose. "On n'a pas su défendre les appellations historiques qui témoignent de la profondeur amazighe de l'Afrique du Nord", a-t-elle déploré. Cette absence de mise à jour des noms des lieux et des cartes géographiques après les indépendances nationales procède, selon l'universitaire, d'un caractère idéologique avéré. Certaines traductions sont aléatoires. Pourtant, la standardisation ou la normalisation de la toponymie, dans son volet conceptuel et dénominatif, se trouve sur les tablettes des Nations unies. Le Groupe d'experts des Nations unies pour les noms géographiques (Genung) dont l'Algérie est membre peut constituer un forum capable de répondre à la problématique de la toponymie malmenée dans certains pays, où les identités sont ostracisées. Khadidja Ben Saïdane a posé la question de la démocratisation des sociétés nord-africaines comme préalable à la réhabilitation de la toponymie des lieux et de leur mémoire historique. "Quand on n'a pas le pouvoir, on ne peut pas changer les choses. D'où ces tensions identitaires et culturelles", a conclu l'universitaire qui vit au Maroc. Yahia Arkat