C'était l'esthète du jeu, le révolutionnaire dévoué, l'entraîneur écouté et l'homme (tant) aimé. C'était Kaddour Bekhloufi. Aussi immense que discret. Aussi bavard que timide. Aussi célèbre que déprécié. Avant d'être contraint par la maladie à accepter, bien malgré lui, de devenir casanier, lui le grand voyageur, il était facilement reconnaissable et tellement abordable lorsqu'il arpentait, chaque jour, le boulevard Dr-Benzerdjeb pour se rendre au café Nadjah, juste en face du siège de "son" ASMO, non loin de celui de l'USMO, juste à l'entrée de l'antique M'dina J'dida, où il rejoignait ses amis et compagnons de route pour refaire le monde et parler football. C'était Kaddour Bekhloufi. Toujours emmitouflé dans le vert et blanc de son survêtement estampillé ASMO, sourire innocent sur son minois marqué par tant d'années de sacrifices, de joie, de pleurs et de peine, il ne perdait jamais de lucidité, ni de mémoire lorsqu'il s'agissait de raconter "sa" révolution dont il était si fier, sans pour autant se "la raconter" ! Continuant à habiter, avec femme et enfants, au dernier étage d'un immeuble datant de l'époque coloniale, au 17 boulevard Dr-Benzerdjab, en plein centre-ville, il ne possédait pas de véhicule, ni aucun (autre) signe ostensible d'une richesse qui aurait pu être sienne s'il n'avait pas quitté les strass et paillettes de Monaco pour rejoindre l'équipe du FLN un beau soir de 1958. C'était Kaddour Bekhloufi. Avant que le poids des ans, 85 pour être plus précis, ne le prive de ses petits plaisirs quotidiens qui se résumaient à un petit tour au stade pour voir s'entraîner l'ASMO et aux fameuses discussions entre amis au café entre la vieille M'dina J'dida et le populaire Plateau (St-Michel), Kaddour Bekhloufi prenait un malin plaisir à continuer à être ce qu'il a toujours été : l'anti-star par excellence. Le grand joueur qu'il était avait pourtant "flambé" (de sa propre expression) à Monaco, rencontré, à leur demande, le prince Rainier et la princesse Grâce Kelly, discuté avec le légendaire Hô Chi Minh au détour d'un petit-déjeuner au Vietnam, croisé six présidents de la République algérienne et bien plus encore de "personnalités" célèbres. Mais l'immense homme qu'il a été ne s'est jamais dépeint de son humilité, de sa modestie, de ses principes qui en ont fait une icône populaire pas forcément reconnue à sa juste valeur par ceux qui incarnent le pouvoir institutionnel. Et cela aussi bien au niveau des autorités locales d'Oran qu'à celui des institutions sportives et footballistiques, locales, régionales et nationales. C'était Kaddour Bekhloufi. L'annonce de son décès, survenu vendredi à 17h40 a bien évidemment ému tous ceux qui se sont identifiés un jour à son parcours de glorieux combattant et attristé tous ceux qui reconnaissent en lui cet immense sportif qui a sacrifié carrière, gloire et argent pour répondre favorablement à l'appel de la patrie. L'information de sa disparition à jamais a aussi et surtout, forcément, interpellé la conscience de tous ceux qui l'ont précipité dans un oubli volontaire et doublement pénalisant pour la génération actuelle et celle à venir, qui ignorent, bien malgré elles, l'inénarrable point d'ancrage sportivo-historique qu'aurait pu constituer Kaddour Bekhloufi. La grande foule, à laquelle se sont greffés, comme en pareille circonstance, les représentants de l'Etat, qui l'a accompagné hier à la mi-journée à sa dernière demeure, témoignait bien de la grandeur de l'homme. Elle attestait surtout de cette ingratitude si habituellement réservée aux véritables champions dont faisait indéniablement partie le défunt.Homme de dialogue, jovial, cultivé et intransigeant en matière de respect de l'autre, sa gifle à Bouziane, en direct à la télévision, lors de l'épique finale de coupe d'Algérie 1983 entre l'ASMO qu'il entraînait et le MCA résonne encore dans les oreilles de tous ceux qui reconnaissaient en lui cet éducateur hors pair, intègre, compétent et tellement sage. C'était Kaddour Bekhloufi. L'esthète du jeu, le révolutionnaire dévoué, l'entraîneur écouté et l'homme (tant) aimé. C'était Kaddour Bekhloufi, tout simplement. Rachid BELARBI