Ce qui n'était au début qu'un passe-temps, voire un loisir, a fini par s'amarrer en l'artisan batelier Guerouah Yacine tel l'ancre qu'il a jetée dans l'abîme de l'amour qu'il nourrit pour la navigation. L'expo de l'artisanat du terroir révèle d'incroyables talents, à l'instar de l'artisan Guerouah Yacine qui a enjolivé l'aile droite de la galerie d'art Mustapha-Kateb d'un port de plaisance qu'accostent des bateaux modelés de son savoir-faire : "On ne naît pas artisan on le devient !", dit d'emblée ce natif de Zoudj Ayoun dans la Basse Casbah d'Alger. Et c'est parce qu'il habitait aux alentours de la galerie d'art Malakoff à la rue du Vieux-Palais qu'il a acquis d'abord le réflexe puis l'habilité du maître de ballet à régler la danse du jeu des mains de l'artisan. Un rituel qu'il a calqué et emprunté à son maître qui n'était autre que son oncle Mohamed de Sidi Moussa qu'il regardait faire des bateaux avec des bâtons d'allumettes. Ainsi, peu à peu, ce qui n'était au début qu'un passe-temps, voire un loisir, a fini par s'amarrer en l'artisan-batelier Guerouah Yacine tel l'ancre qu'il a jetée dans l'abîme de l'amour qu'il nourrit pour la navigation. "D'où l'intérêt d'éclore le talent d'artisan qui sommeille en soi !", a ajouté notre marin d'eau douce qui s'est découvert l'âme d'un ouvrier nautique qu'il ne soupçonnait pas au bout de ses dix doigts. C'est dire que le vent du large de la côte du saphir à Jijel d'où il est originaire l'a poussé telle la ritournelle "Va, petit mousse où le vent l'a poussé" jusqu'à son établi où il façonne d'exquis esquifs qu'il expose à l'occasion. En fait d'atelier, notre artisan se contente d'un coin de cuisine qu'il partage avec son épouse et où sa fille l'assiste dans le rangement des accessoires, a déclaré notre interlocuteur avec un soupçon d'humour. Non qu'il s'agît de l'image rituelle d'un bateau amarré dans le bas-fond écumeux d'une bouteille que l'on attache d'un nœud marin au mur, mais de réelles reproductions que notre batelier matelot duplique à l'identique et à l'énumération détaillée des accessoires, notamment l'historique chebek à trois mats (navire) de la "taïfa" algérienne (corsaires) qui voguait à la voile ou à l'aviron des galériens et doté de bombardes sur ses flancs. Plutôt "modéliste" qu'artisan d'arsenal, notre timonier vit son temps de loisirs dans le façonnage opéré au plus serré du prototype d'origine. Outre l'usinage à l'identique, notre "bosco" usine également la gamme d'éléments de charpente qui s'incluent dans la structure de ses archétypes : "Considérées comme l'essentiel de l'art du modélisme naval, l'architecture navale et l'ingénierie d'arsenal font obligation au maquettiste et miniaturiste à dupliquer l'esquisse de l'esquif au plus près des détails, particulièrement l'image de l'embarcation vue de ses dehors", a expliqué notre maître de felouque. Donc, pour se convaincre de la beauté d'une flottille, le mieux est d'aller à l'ancien centre de loisirs scientifiques (CLS) d'Alger où l'armada dénommée "El Amir", le galion espagnol, la gondole de Venise et l'Albatros du cap'tain Guerouah Yacine sont à flot jusqu'à la fin de l'été. Louhal Nourreddine