À près de deux mois de la date fixée par le pouvoir pour la tenue de l'élection présidentielle, ils sont déjà 133 postulants à avoir retiré les formulaires de souscription des signatures. Et les portes demeurent ouvertes aux autres postulants jusqu'au 25 octobre prochain. Si, comme d'ordinaire, l'échéance donne lieu à des candidatures fantaisistes, voire bouffonnes, quelques noms, peu ou prou connus, émergent cependant. C'est le cas de l'ex-chef de gouvernement, sous Bouteflika, Ali Benflis, aujourd'hui à la tête de Talaie El-Houriat, d'Abdelmadjid Tebboune, ex-Premier ministre, d'Abdelkader Bengrina, un dissident du MSP, aujourd'hui à la tête du mouvement El-Bina, de Belkacem Sahli, ex-ministre et dirigeant de l'ANR, d'Abdelaziz Belaïd, président du front El-Moustakbal, d'Azzedine Mihoubi, ex-ministre, chef intérimaire du RND, d'Abderrahmane Arar, président du Forum civil pour le changement, à l'origine de la proposition de l'"intronisation" de Karim Younès pour conduire la défunte commission de dialogue et de médiation, ou encore de Slimane Bekhlili, un animateur de télévision. Principal point commun de tous ces postulants, à quelques exceptions près : ils ont tous servi, d'une façon ou d'une autre, le régime, celui-là même dont des millions d'Algériens réclament le départ depuis février dernier. Alors que l'échéance approche à grands pas, force est de constater que tout ce "beau monde" rechigne à aller à la rencontre des citoyens pour non seulement "prêcher la bonne cause" et les "enjeux", celle de "l'intérêt" du scrutin, mais également pour solliciter leurs suffrages. Pis encore, même la campagne pour la collecte des signatures, 50 000 réparties à travers 25 wilayas, comme l'exige la loi électorale, semble se dérouler dans l'opacité, voire dans la clandestinité. Rien, en effet, ne filtre pour l'heure sur l'état d'avancement de cette collecte, encore moins si elle s'effectue sans écueil et sans encombre, en raison du black-out imposé autour de l'opération. L'essentiel des activités de ces postulants, si l'on excepte Abdelkader Bengrina ou encore Abdelaziz Belaïd qui ont pu animer quelques rencontres avec leurs militants ces dernières semaines, se réduit, jusque-là, à des interventions… médiatiques. Cette discrétion paraît pour le moins curieuse pour des personnes aspirant à présider aux destinées du pays et à solliciter la confiance de leurs concitoyens. Sont-ils gagnés par le doute qui entoure désormais le maintien du scrutin au regard de l'évolution de la situation ? Redoutent-ils quelques réactions hostiles de la population ? Comment comptent-ils convaincre la population du bien-fondé de leur choix et de l'option du "passage en force", en si peu de temps ? Mais au-delà de ces questions, somme toute, légitimes, ces postulants semblent aussi prisonniers d'une certaine culture politique qui le confine déjà à la disqualification : comment, en effet, s'engager dans une bataille électorale dans un climat marqué par la terreur, des arrestations à tour de bras, une répression sans commune mesure d'un mouvement dont on a décrété pourtant qu'il "sera accompagné", qu'il "est pacifique et suscite l'admiration du monde" et une chape de plomb sur les médias ? Et comment peuvent-ils convaincre de leur engagement en faveur de la construction démocratique et pour un changement profond, eux qui se refusent à condamner ces dérives ? À bien des égards, l'incertitude est intégrale. D'où, sans doute, cet effacement et cette incapacité à arrêter une stratégie pour aller à la rencontre de ceux qui devront leur accorder légitimement… la légitimité.