Ce n'est pas la première fois que l'Exécutif recourt à la distribution de la rente pour désamorcer la "bombe sociale". Les vieux réflexes ont décidément la peau dure. Les mêmes recettes pour les mêmes problèmes, même si leurs conséquences sur la paix sociale demeurent limitées dans le temps, comme déjà éprouvé par le passé. Alors qu'ils s'apprêtaient à entamer une grève à partir d'aujourd'hui, les travailleurs des banques et des assurances ont décidé de renoncer à leur action après l'accord conclu jeudi entre les directions des banques publiques et leurs syndicats. "Après une réunion marathon de onze heures de travail, nous sommes parvenus à un accord commun sur la concrétisation de la plateforme des revendications des travailleurs, adoptée le 12 juin dernier, notamment en ce qui concerne la réévaluation des salaires", a déclaré le président de la Fédération nationale des travailleurs des banques et des assurances, Mohamed Zoubiri, cité par l'agence officielle. Il ne reste qu'à fixer les mécanismes de mise en œuvre de cet accord qui devrait intervenir lors d'une réunion entre la fédération et l'Association des banques et des établissements financiers (Abef) prévue en décembre prochain. Deux jours plus tôt, c'est le Syndicat national des magistrats (SNM) qui annonçait, contre toute attente, la suspension de la grève qui a duré dix jours, après un accord avec le ministre de la Justice, garde des Sceaux, obtenu grâce à l'intermédiation de "hauts responsables sécuritaires, les présidents de l'APN, du Conseil de la nation, du Conseil national des droits de l'Homme et certains ministres", comme l'a révélé son président, Issad Mabrouk, sur son compte facebook. "J'ai transmis à tout le monde et en toute fidélité les revendications des magistrats, comme elles ont été exprimées lors de nos différents rassemblements syndicaux et nos différentes correspondances", précise le président du syndicat, ajoutant que "certains ont agréé, d'autres ont exprimé des regrets". Hormis la revalorisation salariale, la moisson des magistrats reste maigre, suscitant même l'étonnement du Club des magistrats et la déception de nombreux citoyens qui voyaient dans leur grève un soutien de taille au hirak. C'est à croire que seule la motivation pécuniaire sous-tendait l'action spectaculaire et inédite des magistrats, puisque la sacro-sainte revendication de l'"indépendance" de la justice a été renvoyée aux calendes grecques. Une tournure qui n'a pas échappé à l'observation des manifestants qui n'ont pas hésité à crier vendredi que "les juges ont été vendus avec deux sous". Ce n'est pas la première fois que le gouvernement recourt à la distribution de la rente pour désamorcer la "bombe sociale". Par le passé déjà, souvent et particulièrement à chaque proximité d'une élection, il n'hésite pas à casser sa tirelire pour augmenter les salaires et annoncer des mesures, comme la révision de l'échéancier de remboursement de la dette pour les jeunes ayant bénéficié des projets Ansej ou la promesse de lancement de projets de développement, notamment dans les régions enclavées des Hauts-Plateaux et du Sud, perçus comme un gisement électoral, ou encore la distribution de logements dans l'espoir, d'une part, de sauvegarder une paix sociale fragile et de susciter l'adhésion à la démarche du pouvoir, d'autre part. Si elle a déjà montré ses limites, parfois avec des conséquences désastreuses, comme l'inflation, la démarche est aujourd'hui aléatoire face au spectre d'un naufrage économique, mais surtout devant la détermination d'un mouvement qui ne se suffit plus de gestes de circonstance, mais d'un nouveau système de gouvernance. En cassant sa tirelire, l'Exécutif ne fait qu'étouffer momentanément des colères sectorielles. Mais pas la colère d'un mouvement engagé à changer radicalement le système.