Le futur chef de l'Etat qui pourrait sortir de la très contestée élection du 12 décembre est-il déjà voué à n'être, pour ainsi dire, qu'un simple président "de gestion des affaires courantes" ? à bien analyser l'emballement des changements institutionnels et économiques depuis que le pouvoir a décidé d'un agenda électoral forcé, il est, en effet, fort à parier que le probable successeur d'Abdelaziz Bouteflika aura surtout pour mission de mener à bien une feuille de route dont la teneur et les contours sont déjà tracés. À moins d'un mois d'un scrutin présidentiel, présenté pourtant comme la seule issue possible à l'impasse politique, le pouvoir s'est ainsi empressé de parachever aussi bien l'édifice institutionnel que la politique économique qui devra jalonner et encadrer la prochaine mandature. Tout récemment encore, l'actuel chef de l'Etat a précipité la fin des intérims et la désignation de dirigeants officiels à la tête de deux centres névralgiques de l'appareil économique, en l'occurrence la compagnie nationale des hydrocarbures, Sonatrach, et la Banque d'Algérie (BA), appelée, elle, à assumer l'enjeu délicat d'une politique monétaire à concevoir dans une perspective d'épuisement des réserves de changes. La célérité avec laquelle le pouvoir a décidé de mettre fin à la mission du gouverneur par intérim de la Banque centrale, au moment où éclatait une polémique sordide entre cette autorité bancaire et sa tutelle sur la justification des dépôts bancaires en devises, met d'ailleurs clairement en évidence cette volonté de tout mettre en place avant l'élection d'un nouveau président. Auparavant, d'autres changements institutionnels aussi décisifs avaient été opérés presque à la hâte tant au niveau des institutions du ministère régalien de la Justice qu'à la présidence de la République et au sein des médias publics et des secteurs économiques sensibles, à l'instar des administrations des douanes et des impôts. Pourtant, dans un contexte de crise politique et institutionnelle où les affaires de l'Etat sont administrées par un Exécutif illégitime de gestion des affaires courantes, l'orthodoxie et même le simple bon sens auraient voulu que les décisions engageantes pour l'avenir du pays soient ajournées et subordonnées à l'avènement d'un président, sinon légitime, du moins issu d'un scrutin même avec une faible majorité. Alors que les enjeux économiques — avec en toile de fond la perspective d'une crise majeure qui menace à plus ou moins court terme — devront sans doute prendre le dessus après l'urgence politique en présence, la feuille de route à suivre en matière d'investissement, de taux de change, de fondamentaux macroéconomiques, de finances publiques, d'endettement, mais aussi de gestion des secteurs névralgiques du pétrole et du gaz, est déjà bien établie à travers les bouleversements adoptés en toute urgence dans le cadre des projets de lois de finances et des hydrocarbures. Arrêt de la planche à billets, retour à l'endettement extérieur, fin de la règle des 51/49%, coupes drastiques dans les dépenses d'équipement, trajectoire budgétaire pluriannuelle, dépréciation progressive du dinar d'ici à 2022 et surtout révision du régime d'investissement étranger dans le secteur pétrolier sont en effet autant de décisions graves et engageantes que le pouvoir s'est empressé d'acter à quelques semaines à peine du début de son propre calendrier électoral. C'est dire à quel point seront donc limités et la légitimité et les pouvoirs de décision de l'éventuel président qui sera issu du scrutin du 12 décembre prochain.