La revue critique littéraire revient enfin avec un premier numéro, consacré cette-fois à l'autofiction. De Leila Sebbar à Assia Djebar, en passant par Chawki Amari ou encore Nina Bouraoui, plusieurs analyses critiques et entretiens sont consacrés à ce genre littéraire proche de l'autobiographie. Dans son édito, la fondatrice de la revue, Maya Ouabadi, revient sur le contexte très spécial de la création de ce nouveau numéro et les difficultés auxquelles a fait face sa jeune équipe. En effet, explique-t-elle, "il faut vous avouer, chers lecteurs, que nous avons eu du mal à boucler ce nouveau volume, tant ce qui arrive aujourd'hui dans notre pays occupe notre esprit et absorbe notre énergie et notre temps. Au moment où j'écris ces lignes, la rue gronde et nous appelle ; nous marchons, nous crions, et nous espérons fort le changement réel, comme tant d'autres". Et à Ouabadi de faire le rapprochement entre le contexte de révolte actuel et les œuvres traitées dans ce volume, à l'image de Body writing de Mustapha Benfodil, qui revient sur les évènements du 8 octobre 1988 ; Aïcha Kassoul et le printemps arabe dans La colombe de Kant et, enfin, Chawki Amari, qui a comme prédit dans Balak une "révolution du hasard", pour "changer un monde en panne de modèles". Il semble que l'autofiction soit très répandue dans la littérature dite féminine. Fassl met en avant les textes des romancières Assia Djebar et Leila Sebbar, qui seraient unies, d'après le titre du dossier qui leur est consacré, par "une filiation textuelle", compte tenu de leur rapport à la langue française et du contexte socio-historique dans lequel elles ont vécu. "Toutes deux filles d'instituteurs nées avant l'indépendance, il serait très tentant de les comparer à travers leur figure paternelle", écrit Lydia Haddag. Djebar "transgresse les codes traditionnels du genre autobiographique occidental tout en se rapprochant du nouveau roman français (…)". À son "travail d'écriture" s'ajoute la "déformation professionnelle de Djebar l'historienne". Ainsi, "elle dissout son propre témoignage, note Haddag, dans la parole historique" et collective. Chez Sebbar comme chez Djebar, "le roman exprime un besoin d'écrire synonyme d'un besoin de témoigner (…) Elles vivent leur liberté créatrice dans la construction même d'une identité littéraire choisie, où la singularité est non pas vécue comme un narcissisme, mais un dépassement de soi". Les contributions de Salah Badis et Rahil Bali se sont penchées quant à elles sur les "Maîtres de l'autofiction", que sont Paul Auster, Karl Ove Knausgård et Joan Didion. Chez Auster, l'autofiction prend deux formes ; d'abord le "je", qu'il utilise dans L'invention de la solitude, puis le "tu" avec lequel il se raconte, trente ans après, dans Chronique d'hiver. "Difficile de dire alors, selon les auteurs de cette analyse, s'il se parle à lui-même ou s'il se dédouble en écrivant." Pour Joan Didion, l'autofiction est un moyen de "se raconter et raconter les Etats-Unis. (…) elle puisait dans sa vie la matière de ses livres, comme un réinvestissement". Tour à tour, elle parlera de son divorce puis de la perte de son mari, dans Maria avec et sans rien, puis L'année de la pensée magique.
Y. A. "Fassl", n°1, "L'autofiction", éditions Motifs, 106 pages. 1200 DA, 2019.