Cette année, la mobilisation populaire à cette occasion ne semble aucunement s'encombrer de l'activité parallèle des officiels. À chacun ses moyens, sa politique, son objectif et ses convictions. À Bordj Bou-Arréridj et au niveau officiel, le nouvel an amazigh 2970 a été organisé dans la commune de Mansoura, à 30 kilomètres à l'ouest du chef-lieu de la wilaya, loin des regards, quasiment en catimini. Le programme concocté s'est cantonné à une exposition de tenues, de plats traditionnels et de chants kabyles dans un établissement scolaire. Le reste s'est limité à des visites à quelques projets d'aménagement urbain dans le village de Bougaba (Mansoura). Même lawzia (abattage et partage de viande de bœuf) a été distribuée aux habitants du village seulement. Pour la population, Yennayer a toujours été une fête sacrée célébrée dans toutes les maisons. Elle prend une charge identitaire toute particulière dans certaines régions de la wilaya, dont la Kabylie, pour cause de sa longue tradition de combat identitaire et surtout du sens significatif avec le hirak. "Yennayer, est la fête qui présage d'une nouvelle année féconde", dira na Tassaâdit. En pleine saison de cueillette des olives, le travail est arrêté. Les maisons sont nettoyées de fond en comble, repeintes, décorées et ouvertes aux convives. Le réveillon du 31 doudjember (31 décembre), dernier jour de l'an qui s'achève, consiste en un dîner familial (imenssi) précédé d'un rite sacrificiel symbolique dont la portée est de protéger la famille du malheur durant toute la nouvelle année. On se doit de sacrifier un poulet de ferme. La famille élargie, parfois tout le clan, se retrouve autour d'un couscous au poulet agrémenté de morceaux de viandes séchées (achedluh), on se gave toute la soirée de friandises et de fruits secs gardés pour la circonstance. Des grenades, des figues, des dattes, du raisin, des pruneaux sont de la fête. Certains adultes sont chargés, toute la soirée, d'expliquer aux enfants l'histoire de Yennayer pour cultiver la mémoire et perpétuer la culture. Pour certains, c'est aussi la première coupe de cheveux pour les garçons. L'homme le plus âgé se charge de la besogne. "Le petit vivra, souhaite-t-on ainsi, aussi longtemps que ce vieux improvisé coiffeur pour la circonstance." Pour les berbérophones, la vraie fête est célébrée chez l'habitant et non au niveau des responsables qui se limitent au côté folklorique — même ce côté a été peu relevé, cette année — et ont oublié l'essentiel, à savoir sa concrétisation sur le terrain avec l'officialisation de la langue berbère en inscrivant en tifinagh les enseignes surmontant les frontons des édifices publics. À Bordj Bou-Arréridj, on ne retrouve le tifinagh que dans trois endroits : les sièges de la wilaya, de l'APC et le nouvel hôpital. "L'Amazigh a plus de 2970 ans et ne se limite pas à une journée. Il est toujours là sur ses terres", dira un jeune hirakiste qui insiste sur le fait que ces derniers mois, ces mêmes responsables locaux sont en train de diaboliser les Kabyles. "On leur demande d'être honnêtes et de respecter l'histoire de l'Algérie", ajoute un autre jeune de Bordj Bou-Arréridj qui se dit pourtant arabophone. "Nous sommes tous des Algériens", a-t-il tenu à ajouter à ceux qui cherchent à diviser ce grand peuple libre.