Dans cet entretien accordé à "Liberté", Ema la Mandragore revient sur l'étape la plus rude de sa vie. À 11 ans, elle subira le pire cauchemar de sa vie. Elle dénonce, condamne, crie sa douleur et garde les stigmates d'une enfance émaillée d'une rare turbulence. Partie trop jeune de la Kabylie pour un monde meilleur, elle tombera, chérubin qu'elle était, dans les travers de la vie. Témoignage poignant, "Une caresse de trop" a été sélectionné par le jury parmi les meilleurs romans qui marquera le Salon du livre de Paris le 8 mars prochain. Liberté : Vous venez d'éditer Une caresse de trop chez Sidney Laurent. Un témoignage poignant et osé, voire une autobiographie qui donne le vertige, qui interpelle les consciences sur l'enfance volée et violentée. Pourquoi avoir attendu tant d'années pour sortir de votre silence ? Ema la Mandragore : Les raisons pour lesquelles j'ai attendu sont simples. Cela fait dix ans que je démarche les maisons d'édition. Les propositions n'ont pas manqué. J'en ai eu plusieurs, mais à compte d'auteur. Bien être dans la vie, si on veut les choses de suite, on a toujours moyen de les obtenir, mais pour ma part, il est question de financement. J'aurais pu prendre un crédit, emprunter, tout cela reste du domaine du possible, mais c'est par choix, je voulais vraiment sensibiliser le comité de lecture par cette cruauté que des enfants ont endurée. Aujourd'hui, pareil et cela partout dans le monde. Que mon témoignage puisse servir à ce qu'un jour, je garde espoir pour cela, aucun enfant ne passe par là. D'autre part, la vérité a fini par éclater au grand jour. Ne voulant pas être aussi traître que le sadique, j'ai téléphoné chez lui pour lui dire que j'allais porter plainte contre lui. Quelques jours plus tard, j'ai été menacée de mort, harcelée jour et nuit par des appels téléphoniques. Deux personnes à qui j'avais parlé de ce que je comptais faire. L'une des personnes a demandé à ce que j'arrête et de me taire. Ironie du sort, cette personne n'est autre que le beau-frère du pervers. Je me suis demandé comment il réagirait si l'un de ses enfants subissait la même chose. Pour certains problèmes moches, d'ordre "tabou", mieux vaut les "balayer sous le tapis". Le constat que j'ai pu faire est que les victimes doivent se taire et continuer de survivre avec ce traumatisme. J'ai pardonné à toutes ces personnes. Vous avez dénoncé l'humiliation, le harcèlement sexuel, l'inceste et les abus que le personnage central du roman, une gamine que vous étiez durant les années 1980, a longtemps endurés. Comment aviez-vous pu reconstituer ces faits après tant d'années de traumatisme et de choc ? Un traumatisme pareil a été pour moi une "seconde peau" quand vous gardez cela en vous. Plus les années passent et plus elles prennent de la place. N'oubliez pas que mon calvaire a duré quatre ans et demi. J'ai pu du haut de mes 11 ans et les mois suivants scruter chaque personne, qu'elle soit gentille ou méchante et dans le lieu où les faits se sont produits. Ce fameux bar, je le connais dans les moindres recoins. Cela marque. Malgré la touche de fiction pour tenir en haleine le lecteur, vous avez réussi à aller jusqu'au bout de l'objectif, à savoir la vengeance par la double justice divine et humaine. Avez-vous, aujourd'hui, la conscience tranquille d'avoir mis en garde la société et les bourreaux contre cette forme de maltraitance ? Je ne suis qu'une goutte d'eau de plus qui vient apporter son témoignage contre les abus et attouchements sexuels sur mineurs. J'espère que ces actes cessent. Mais il est important que les parents soient plus attentifs à l'égard de leurs enfants. J'encourage les parents à parler de tout avec eux, de les mettre en garde et de les préserver. Un enfant a confiance en l'être humain, surtout quand celui-ci se montre gentil et généreux. Malheureusement, cela ne prévient pas. Pour finir, j'ai juste à dire que si ce soir-là où j'ai parlé à mon père, au lieu de me battre dans la rue à croire que la coupable c'était moi, il aurait dû faire demi-tour et lui mettre la raclée. À cet instant même, j'avais décidé de garder tout ça en moi. Votre optimisme à la fin du roman est perceptible. Ressentiez-vous une délivrance ou un chagrin après avoir finalisé ce témoignage, j'allais dire votre mission d'auteur ? Je crois en Dieu. Avoir la foi est une grâce. Je n'étais pas encore baptisée, pourtant je me remettais entre les mains du Seigneur. Un jour où l'autre, il fallait que cela sorte du placard. Je ne peux pas parler de satisfaction au sens propre du terme, car il n'y a aucune satisfaction à parler de soi d'un sujet aussi cruel. Je souhaite seulement que toutes celles et tous ceux qui sont passés par là en parlent et de ne pas avoir honte. On est juste coupables d'être des gosses qui croient les grandes personnes. Après des retours assez positifs, "Une caresse de trop" est, officiellement, sélectionné parmi les chefs-d'œuvre pour le Salon du livre qui se déroule du 20 au 23 mars prochain à Paris. Que vous procure cette distinction ? Oui, je suis surprise, vraiment, par tant de retours positifs. Beaucoup ont été interpellés par le sujet. Ils m'ont juste dit bravo ! J'ai ressenti de la compassion. Quelques personnes qui me connaissent depuis des années ont été choquées. Elles venaient de découvrir une face inédite de ma vie que je n'ai jamais mise au goût du jour. Force et courage sont les mots qui reviennent souvent en parlant de mon trait de caractère. Concernant le Salon du livre pour lequel j'ai été choisie, il aura lieu le 8 mars prochain à Rebais, en Seine-et-Marne.