Parent pauvre du triptyque identitaire du pays, la langue amazighe a été élevée au rang de constante dans l'avant-projet de révision constitutionnelle, élaboré par une équipe de juristes menée par le professeur de droit international public, Ahmed Laraba, et rendu public le 7 mai dernier. En effet, celle-ci a introduit une disposition constitutionnelle instituant l'"inclusion de tamazight parmi les dispositions non soumises à modification constitutionnelle", qui suscite l'intérêt. Cette proposition va-t-elle vraiment renforcer le statut de la langue amazighe ? Les avis sont partagés. Le fait que tamazight soit élevée au rang de constante est une avancée aux yeux d'Abderezak Dourari, professeur des universités en sciences du langage et directeur du Centre national pédagogique et linguistique pour l'enseignement de tamazight (CNPLET). "Je considère que c'est quelque chose de positif. En tant que telle, c'est une disposition d'une très grande importance. Il y a un rapport de force qui a fait qu'ils ont cédé. Ils ne nous ont pas fait de cadeau. On le prend", soutient-il, en révélant que cette disposition est une proposition de la commission ad hoc sur la loi organique portant création de l'Académie amazighe avant qu'elle ne soit supprimée par le gouvernement Ouyahia contre l'avis de la commission. Mais à ses yeux, cette disposition constitutionnelle à elle seule ne suffit pas car, explique-t-il, "tamazight a besoin d'une véritable académie et de véritables centres de recherche". Même satisfaction mesurée chez le chercheur en tamazight Abdenour Abdeslam, qui considère que "du point de vue principiel, cette nouvelle notification portée en faveur de la langue amazighe dans le projet de la ‘nouvelle Constitution' ne peut que trouver satisfaction non pas à mon seul niveau, mais auprès de toute la communauté amazighe du pays". Et M. Abdeslam de mettre un bémol en voyant dans cette nouveauté dite constitutionnelle une tentative du pouvoir de "tempérer un tant soit peu la rigueur et la position politique de la Kabylie dans l'action généralisée du hirak/tambawla", justifiant son scepticisme par les "blocages avérés" que subit l'enseignement de la langue amazighe. Pour le professeur de droit constitutionnel à l'Université de Tizi Ouzou, Abdelkader Kacher, "la confirmation formelle du statut national et officiel de tamazight est le résultat des longues luttes démocratiques du peuple par mouvements soutenus depuis le début du siècle dernier avec l'Etoile nord-africaine, s'ensuit le rendez-vous historique de 1949 jusqu'aux deux Printemps de 1980 et 2001". Il a, toutefois, mis un petit bémol en estimant que "malgré son caractère national depuis 2001 et national et officiel depuis 2016", tamazight reste toujours "confinée dans un statut de langue mineure", non sans jeter la pierre à l'ancien régime à qui il reproche de n'avoir pas "daigné aller loin dans le processus de sécurisation constitutionnelle en renvoyant à une loi organique l'effectivité de l'article 4". Selon lui, tamazight doit, à l'instar de la langue arabe, bénéficier "définitivement et sans appel possible" du "statut immuable de langue national et officiel". Le doctorant en droit constitutionnel à l'université Panthéon-Assas Paris 2, Massensen Cherbi, a, lui, un avis plus tranché sur la question en qualifiant les modifications apportées par la commission Laraba au statut de tamazight de simple "toilettage". Son explication : "l'arabe "demeure" "la" langue nationale et officielle "de l'Etat", tandis que tamazight reste "une" langue nationale et officielle "de on ne sait quoi". "Il n'y a pas de réel bilinguisme dans la Constitution", affirme-t-il. Pour sa part, l'avocate Fetta Sadat estime qu'"il faut rester vigilant et continuer à lutter pour que tamazight devienne une langue officielle effective". À ses yeux, le plus important, ce ne sont pas les déclarations de principes contenus dans un texte, mais plutôt l'application effective de ces principes. Même si l'on peut considérer comme une avancée le fait que l'avant-projet de révision constitutionnelle ait mis tamazight parmi "les principes non susceptibles de faire l'objet d'une ultérieure révision", il demeure, prévient-elle, que rien n'est "garanti" au regard "de l'instabilité constitutionnelle que connaît le pays et du nombre de Constitutions qu'il s'est donné". Pour Me Sadat, le statut de tamazight reste "inégalitaire et minoré" comparé à celui octroyé à la langue arabe.