Liberté : La situation dans le nord du Burkina Faso s'est fortement dégradée depuis quelques mois. Comment expliquez-vous cela ? Atiana Serge Oulou : Le nord du Burkina n'est pas isolé de la situation nationale marquée par les actions des groupes armés. La particularité peut s'expliquer par l'existence de tensions communautaires antérieures à l'action des groupes terroristes. Le ministère en charge des Droits humains relevait dans une étude sur la cartographie des conflits au Burkina que la région du Centre-Nord (chef-lieu Kaya) venait en tête avec le nombre de conflits ethniques. Ceux-ci n'ont fait qu'exacerber ces derniers. Les attaques armées des groupes terroristes sont venues donc se greffer à ces tensions. Le drame dans le village de Yirgou, commune de Barsalogho, province du Samnmatenga, région du Centre-Nord, avec plusieurs civils tués en janvier 2019, officiellement 49 morts et 210 morts, selon le Collectif contre l'impunité et la stigmatisation des communautés, a été le début de complication et de complexification de la situation sécuritaire au nord du pays. L'action du groupe d'autodéfense koglweogo y a joué négativement. Il n'est donc pas exclu des actions de règlements de comptes communautaires à côté des attaques terroristes. À quel degré la nouvelle nébuleuse Etat islamique est -elle implantée dans cette zone, ou s'agit-il d'un double phénomène terrorisme-banditisme dans le nord du Burkina ? L'Etat islamique est plus impliqué dans les régions du Sahel et de l'est du Burkina correspondant à sa zone d'influence située entre le Burkina-Mali et le Niger. Il n'est, cependant, pas exclu qu'il y ait des actions visant des objectifs dans le Nord. Outre cela, les groupes armés EI et GSIM entretiennent des relations parfois d'entraide, de coopération et de mutualisation pour mener des opérations criminelles. Le Nord est donc en proie à une multitude d'acteurs organisés ou pas dont les actes ne permettent pas toujours une lisibilité. La piste du banditisme est aussi possible, mais avec la bienveillance ou le feu vert des groupes armés. Certains délinquants déjà jugés ou connus des services de sécurité pour des actes de grand banditisme, braquages ou vols à main armée ont fait allégeance aux groupes terroristes et d'autres se sont mis à la disposition des groupes terroristes qui ont une puissance de feu plus élevés. Cette soumission leur permet de continuer à mener leurs actions de délinquance tout en participant à des actes sur ordre des groupes terroristes qui colonisent certaines zones. Peut-on parler dans le cas burkinabé d'une interconnexion entre ces deux entités terroristes-bandits ? La réalité du terrain permet de reconnaître une connexion entre terroristes et bandits. En plus de ce que j'ai évoqué précédemment, il est constatable sur le terrain des braquages contre des institutions financières (Caisse populaire attaquée dans la région du Sud-Ouest), de boutiques (au Nord), des coupeurs de route (région des Cascades), des véhicules et passagers dépouillés de leurs biens. Le mélange terrorisme et banditisme est donc réel. Le Burkina Faso est connu, comme d'autres pays du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest, pour sa tolérance religieuse. Pourquoi cette montée de la violence terroriste dans le pays ? Le mal est entré dans le corps social. Des Burkinabè se sont radicalisés et sont revenus au pays, disant pour faire le jihad. Ils ont séjourné au Mali chez des maîtres coraniques. Il y en a d'autres qui ont étudié en Egypte. La crise malienne en 2012 avec la désintégration de ce pays voisin du Burkina a attiré des Burkinabè, surtout lors du règne des groupes terroristes. Ils s'y sont fanatisés, radicalisés et sont revenus au pays pour continuer le jihad. La pauvreté, la marginalisation, l'absence de perspectives sociales sont également des facteurs d'extrémisme. La religion n'en est que le détonateur. Dans ces cas de figure de citoyens radicalisés qui vivent dans la société, la lutte devient encore plus compliquée et ne saurait être que militaire. Face au manque de moyens de lutte contre le terrorisme, mais contrebalancé par la détermination des pays de la région à aller de l'avant, peut-on espérer une amélioration de la situation sur le moyen terme au Burkina Faso et, par extension, au Mali et dans les autres pays du Sahel ? L'espoir permet de vivre. Les milliers de déplacés internes espèrent vivement que la situation s'améliore afin qu'ils puissent regagner leurs localités. Des actions positives des forces de sécurité ont permis d'engranger de bons points et de ramener la quiétude. Les services de sécurité ont travaillé à déjouer des attaques dans la capitale Ouagadougou. Cela fait deux ans depuis la dernière, le 2 mars 2018 par exemple, que la capitale n'a pas été attaquée, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu tentative. L'action de l'armée a permis également de ramener la sécurité et la quiétude dans la province du Nahouri en démantelant un groupe terroriste. Plusieurs opérations antiterroristes avec le démantèlement d'une base terroriste ont été menées. Ce sont des bons points. Mais il faut rester vigilants, redoubler d'efforts au regard de la nature de la menace et du caractère diffus de la menace. C'est un défi énorme à relever à court et moyen termes. Des affrontements ont opposé récemment le groupe d'Iyad Ag Ghali aux combattants du mouvement Etat islamique en Afrique de l'Ouest d'Abou Oualid Adnane al-Sahraoui, qui a perdu un de ses proches collaborateurs. Pourquoi selon vous ? Il fallait s'attendre à cet affrontement fratricide entre les groupes d'Iyad et d'Adnane. Les groupes terroristes naissent, grandissent et se fortifient dans des relations de synergie, de coopération et de rivalité. S'ils s'affrontaient, c'est qu'ils avaient surtout les mêmes bases logistiques et de ravitaillement. Les trahisons à l'interne, la gestion des moyens humains, financiers et matériels, ajoutées à des lectures ou interprétations religieuses du jihad, sont le lit de la division entre groupes terroristes. Les affrontements étaient donc prévisibles. Entretien réalisé par : L. Menacer