L'historien est l'un des artisans de la campagne pour la restitution des crânes des résistants algériens. Il a initié en 2016 une pétition qui a recueilli plus de 300 000 signatures. Liberté : Que vous inspire le retour vendredi dernier, sur le territoire national des ossements de 24 résistants algériens à l'invasion coloniale française, un rapatriement pour lequel vous avez longuement milité ? Brahim Sennouci : Ce que je ressens est une très grande joie. Un proverbe de chez nous dit que pour rendre sa dignité à un mort, il faut l'enterrer. Or il nous a été impossible pendant 170 ans d'offrir une sépulture à ces héros de la résistance contre le colonialisme. Dorénavant, nous pourrons aller nous recueillir sur leurs tombes et les remercier pour leur sacrifice. En tant qu'historien, comment vivez-vous cet événement ? La restitution des crânes des résistants peut être considérée comme l'une des premières victoires de l'Algérie, du peuple algérien contre l'ancienne puissance coloniale. C'est une victoire morale très importante. Nous n'avons pas réclamé de l'argent mais notre droit à la justice et le droit de demander à la France de reconnaître ses méfaits pendant la colonisation. Beaucoup d'autres batailles restent à gagner. Il ne faut pas oublier les enfumades, les massacres du 8 Mai 1945 et du 17 Octobre 1961, les disparitions pendant la bataille d'Alger... Il nous faudra encore continuer à nous battre pour éclaircir tous ces dossiers et conduire l'Etat français à reconnaître toute sa responsabilité dans tout ce qui s'est passé. L'apaisement des relations entre la France et l'Algérie ne peut être obtenu qu'après l'épuisement de toutes les questions liées au contentieux mémoriel. Pourquoi, selon vous, la France a-t-elle finalement, accepté de restituer les crânes des résistants alors qu'elle a toujours mis en avant, dans ce dossier, l'existence de procédures compliquées de déclassification ? Les présidents algérien et français qui ont eu des discussions récemment ont dû certainement passer un deal. De quelle nature ? On ne le sait pas. Mais une chose est sûre : cette affaire s'est dénouée de façon assez inattendue et de manière qui n'est pas tout à fait réglementaire. Légalement, la restitution des crânes devait être réalisée à travers le vote d'une loi par l'Assemblée nationale française qui aurait permis leur déclassification, soit leur sortie des collections patrimoniales françaises dont ils faisaient partie. En 2017, le président français Emmanuel Macron reconnaissait la responsabilité de l'Etat français dans la disparition et la mort de Maurice Audin. Il accepte aujourd'hui de restituer à l'Algérie les ossements de martyrs. Pensez-vous qu'il ira encore plus loin ? Il est évident que les lignes sont en train de bouger. Les actes de Macron signent la fin de la vieille France qui se croyait au-dessus de tout et qui était hautaine et méprisante. La France sait aujourd'hui qu'elle doit réviser un peu son regard sur le passé et composer avec des réalités nouvelles. Nous devons, nous Algériens, saisir cette occasion pour faire davantage pression et aboutir au rétablissement de la vérité sur ce qui s'est passé en Algérie pendant la colonisation. Il est aussi important de continuer d'obtenir, par tous les moyens, des soutiens à notre cause. Nous avons la chance d'avoir en France des relais très favorables, à tous les niveaux. Il faut continuer à lancer des pétitions et à les médiatiser. Justement, beaucoup de cercles anticolonialistes réclament actuellement le déboulonnage de statues qui représentent des figures de l'histoire coloniale françaises, notamment en Algérie. Y êtes-vous favorable ? Je pense qu'il faut laisser ces statues et les accompagner de notes explicatives, pour qu'elles témoignent ad vitam aeternam des méfaits des individus qu'elles représentent.
Propos recueillis à Paris par : SAMIA LOKMANE-KHELIL