Les œuvres exposées ont été réalisées durant la période de confinement, car "la peinture est plutôt émotionnelle. Ce que j'exprime dans les toiles exposées aujourd'hui, c'est ce qui se passe en ce moment : le virus, la perte d'êtres chers ; c'est un hommage à tous ceux qui sont partis". La réouverture progressive des espaces publics en France comme ailleurs dégèle la vie culturelle. Cinémas, salles de spectacles, tous invités au strict respect des gestes barrières, commencent à ouvrir leurs portes. Les artistes algériens vivant en France figurent parmi les pionniers de la reprise de la vie culturelle, à l'instar de l'artiste peintre Zohra K., qui expose ses œuvres du 11 juillet au 15 août 2020 dans le 20e arrondissement de Paris, caractérisé par une forte concentration d'immigrés d'origine algérienne. Au vernissage de l'exposition samedi dernier, Zohra K. a précisé que l'événement est dédié à son frère décédé récemment accidentellement. Une toile, intitulée Karim, lui est d'ailleurs consacrée. C'est aussi un hommage à sa mère : "Si forte, tu ne l'as ni embrassé ni accompagné. Si digne, tu pleures seule dans la nuit son image gravée dans ta chair meurtrie." Il est vrai que la crise sanitaire a doublement endeuillé les familles des disparus puisque les funérailles sont perturbées. Les doutes, les questionnements lancinent l'esprit : "Pour moi, la gestion de cette crise suscite beaucoup de questions. Aurait-on pu éviter tant de morts si on avait pensé et agi autrement ?" Zohra K. a cependant mis à profit le temps du confinement pour peindre, et tous les tableaux exposés ont été réalisés durant cette période : "La peinture est plutôt émotionnelle ; c'est ce que je ressens. Ce que j'exprime dans les toiles exposées aujourd'hui, c'est ce qui se passe en ce moment : le virus, le confinement, la perte d'êtres chers ; c'est un hommage à tous ceux qui sont partis." Avec une prédominance de couleurs sombres, l'impression générale de tristesse que renvoient les tableaux est saisissante : "Cela exprime aussi l'histoire du monde qui nous effraie un peu. Je suis optimiste de nature, mais, à voir le monde, j'ai peur de changer d'avis." Evolue-t-il si mal ? "Le monde me fait peur. On a l'impression de ne plus rien gérer, il y a quelque chose qui nous échappe et cela est effrayant", reconnaît Zohra K. qui en désigne le responsable : "L'homme pèche par le capitalisme, l'argent, la soif de pouvoir, et ce sont les peuples qui paient, c'est d'ailleurs comme cela depuis la nuit des temps." Mais l'artiste garde espoir, comme l'indiquent ces traits de lumière qui traversent l'obscur de ses toiles. Pour rappel, Zohra K. est également écrivaine. Son récit autobiographique Jamais soumise-20 ans dans l'enfer de l'obscurantisme (éditions Ring, 2015) est un témoignage sur la terrible condition des femmes victimes des idées et des comportements rétrogrades dans les sociétés fermées. "J'aime bien la peinture parce qu'on peut la partager, tout le monde peut s'y retrouver. Généralement, l'émotion est ressentie différemment. Dans l'abstrait, chacun peut voir des choses selon ses émotions. Donc je préfère la peinture à la littérature, car je suis moins exposée", a-t-elle confié. Et de poursuivre : "J'aime bien écrire aussi, mais j'ai l'impression que je me mets plus à nu en écrivant qu'en peignant, j'aime bien être en retrait." Zohra K. ne renonce pas pour autant à la littérature. "J'ai en projet un livre sur les femmes kabyles, mais il faut que ce virus nous lâche et qu'on puisse repartir en Algérie pour reprendre les témoignages de toutes les femmes anciennes, car on se rend compte avec cette histoire de virus que la vie est très fragile et qu'on doit garder le parler de nos anciens, des femmes. On ne le fait pas assez, c'est pour cela que j'ai ce projet", a-t-elle indiqué. Et d'expliquer : "Il faut aller à la rencontre de nos origines, de notre histoire, de notre culture, à travers la mémoire des anciens, pour que cette culture soit préservée pour nous, nos enfants." Née dans la banlieue parisienne, Zohra K. entretient un lien fusionnel avec son pays d'origine, l'Algérie, et particulièrement avec la Kabylie où ses racines sont profondément ancrées. Elle en tire l'essentiel de son inspiration d'artiste peintre et d'écrivaine. Elle va poursuivre ses expositions, en région parisienne d'abord, puis ailleurs. De Paris : Ali Bedrici