Dans cet essai, l'auteur a eu à disséquer le Hirak, sa nature, ses causes profondes, ses potentialités, ses limites, ses faiblesses et ses contradictions, mais aussi l'autre protagoniste, le pouvoir politique. L'essai de Hocine Bellaloufi, Algérie 2019-2020. Le peuple insurgé. Entre réforme et révolution, paru en février dernier chez Koukou éditions, devrait intéresser tout hirakiste qui se respecte. Il y traite dans le menu du 22 février 2019, date où le peuple algérien est entré "en désobéissance politique" pour reprendre la formule de l'auteur, journaliste au long cours. Il a écrit dans de nombreux quotidiens et hebdomadaires. Il fut coordinateur de la rédaction d'Alger Républicain de 2003 à 2008 avant de se consacrer pleinement à l'écriture. Il est l'auteur de deux ouvrages : La démocratie en Algérie. Réforme ou révolution ? (Apic et Lazhari-Labter, Alger, 2012) et Grand Moyen-Orient : guerres ou paix ? (Lazhari-Labter, Alger, 2008). Ce militant de gauche a tenu à s'expliquer d'emblée sur la difficulté de la tâche à laquelle il s'est attelé, celle d'analyser le Hirak, un mouvement populaire toujours en cours – bien que stoppé depuis la mi-mars par la pandémie de Covid-19. En effet, sans suivre une démarche académique stricto sensu, l'ouvrage a été écrit avec une méthodologie qui s'y prête volontiers. Le théoricien de l'antimondialisme, puis de l'altermondialisme, le Franco-Egyptien, feu Samir Amin, avait préfacé volontiers son deuxième essai Grand Moyen-Orient, cité ci-dessus. Autre prouesse, et pas des moindres, accomplie avec plus ou moins de succès par Hocine Bellaloufi, s'éloigner, tant que faire se peut, de l'écriture journalistique, plus spécialement de son jargon. Dans cet essai, l'auteur a eu à disséquer le Hirak, sa nature, ses causes profondes, ses potentialités, ses limites, ses faiblesses et ses contradictions, mais aussi l'autre protagoniste, le pouvoir politique. Il a eu à s'interroger sur l'état des rapports de force entre les deux et comment celui-ci allait évoluer. Questions essentielles, objet de débat, alors que pour leur part les régimes autoritaires dont celui de l'Algérie sont "incapables de se réformer eux-mêmes pour donner naissance à des régimes démocratiques". Mais ce n'est pas pour autant que l'on peut exclure, souligne-t-il, "toute possibilité de compromis entre un mouvement populaire et un régime autoritaire". Dans la première partie de l'ouvrage, l'auteur a démontré comment le peuple s'est emparé de la revendication démocratique alors que le régime est entré, quant à lui, dans une crise, qui était là, latente, avant d'aborder en seconde partie les origines de cette crise précisément en rappelant la stratégie de développement souverain, engagée au lendemain du recouvrement de l'indépendance par Ahmed Ben Bella et par Houari Boumediene, qui lui a donné un contenu politique. Mais le décès prématuré de celui-ci laisse place à l'Infitah, l'ouverture économique, qui était plutôt, pour l'auteur, synonyme d'une "contre-révolution", marquée à la fois par une grande spoliation, une paupérisation de la société et qui marquera le début de l'entente parfaite du couple infernal "libéralisme et islamisme." En troisième partie, Hocine Bellaloufi s'est attardé sur les enjeux immédiats et des perspectives. Il a appelé à faire échec à la reconstruction de la façade démocratique du régime autoritaire libéral, voire ultralibéral, à tout entreprendre pour gagner la bataille de la transition, à militer pour instaurer une démocratie réellement populaire, à renouer avec une politique de développement souverain, reprendre les choses depuis 1979 là où avait été stoppé net le projet de Boumediene. L'auteur que l'on ne peut qualifier de "boumedieniste" a plaidé pour que l'armée fasse de la politique. Il rappelle ce qui lui semble être une évidence : "Toutes les armées du monde font de la politique. Et aucune d'entre elles n'est neutre." Ne dit-on pas que la guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens. M. OUYOUGOUTE Hocine Bellaloufi, "Algérie 2019-2020. Le peuple insurgé. Entre réforme et révolution", éditions Koukou 2020.