Destinés à soulager les couches défavorisées, les fonds gérés par le ministère de la Solidarité nationale ont été détournés de leur vocation, comme l'a révélé le procès des deux anciens ministres Saïd Barkat et Djamel Ould Abbes. Sous le couvert de la politique sociale de l'Etat, des ministres de la République se sont laissé aller, une douzaine d'années durant, à une véritable orgie financière qui a choqué l'opinion publique nationale. Pour accompagner les projets politiques de l'ancien président et l'aider à se maintenir au pouvoir, Djamel Ould Abbes et Saïd Barkat, deux inconditionnels de Bouteflika, n'ont pas hésité à puiser, indirectement il est vrai, dans les caisses du ministère de la Solidarité pour financer les campagnes électorales de leur idole. Une "indélicatesse" qui ne dit pas son nom et qui a permis à ces deux hauts responsables d'entretenir la clientèle du régime et d'élargir un tant soit peu sa base sociale sous le clinquant couvert de "participation à la préservation de la paix sociale". Et pour les besoins de cette cause, ils n'étaient pas du tout regardants sur la dépense en accordant des subventions de plusieurs centaines de milliards de centimes à des associations fantoches. D'ailleurs le traitement de l'affaire dite de la dilapidation des fonds de la solidarité nationale traitée par le tribunal d'Alger et dans laquelle sont impliqués deux anciens ministres, Djamel Ould Abbes et Saïd Barkat, ainsi qu'une flopée de cadres du ministère, a permis de faire la lumière sur des pratiques dignes d'une République bananière. Des pratiques qui ont privé les couches défavorisées de plus de 1 800 milliards de centimes qui leur étaient exclusivement destinés mais dont une bonne partie s'est perdue dans les méandres de la corruption et de la rétribution clientéliste. Certes, le juge n'a pas encore rendu son verdict dans cette affaire, mais le réquisitoire du procureur de la République et le plaidoyer à charge de la partie civile n'ont pas laissé l'ombre d'un doute : des irrégularités et des entorses à la loi ont été commises par ceux-là mêmes qui étaient désignés pour veiller au grain, c'est-à-dire à garantir une gestion rigoureuse de l'argent de l'Etat. Ces graves manquements ont fait sortir de ses gonds le procureur de la République, allant jusqu'à accuser Djamel Ould Abbes et Saïd Barkat d'avoir "trahi la confiance en détournant de l'argent de manière méthodique (...)" et "manger les droits des faibles et des pauvres". "Aujourd'hui, nous sommes devant un grave dossier de corruption... Et quelle corruption ! Faire main basse sur des fonds publics alloués aux couches vulnérables et défavorisées, et leur gaspillage de manière organisée et systématique au lieu d'en faire profiter les malades, les sans-abri, les personnes âgées, les orphelins...", s'est-il encore égosillé. C'est que les sommes révélées durant le procès sont tellement astronomiques qu'elles peuvent donner le tournis au smicard qui éprouve les pires difficultés pour joindre les deux bouts. Le ministre Djamel Ould Abbes, par exemple, a octroyé pas moins de 1 000 milliards de centimes à trois associations dirigées par une seule et unique personne : lui-même ! Idem pour son successeur, Saïd Barkat, qui a préféré recourir à une seule association intermédiaire, l'Organisation nationale des étudiants algériens (Onea), dirigée par un cadre de son ministère, qui a bénéficié de 190 milliards de centimes de subventions en une seule année, en plus de l'opération de distribution de plus de 800 bus ! "Sur un tissu associatif fort de 70 000 associations, il n'y a pas une seule autre association qui peut gérer une telle opération ?", s'est interrogé le procureur, non sans préciser que les associations choisies n'ont rien à voir avec le travail caritatif ou social. Pis encore, on continuait à retirer de l'argent du compte d'une de ces associations présidées par Ould Abbes, à savoir l'Union médicale algérienne (UMA), alors qu'elle avait cessé toute activité. Autre scandale qui a horrifié le représentant du ministère public et l'assistance : le détournement de plus de 260 micro-ordinateurs sur les 1 200 unités destinées aux lauréats du baccalauréat, pour les offrir à des sportifs, à un journaliste, à une femme d'ambassadeur, etc. Certes, la mission première du ministère de la Solidarité est de faire du social et d'aider un tant soit peu les couches démunies. Et rien n'interdit, comme l'a d'ailleurs soutenu la défense, à Djamel Ould Abbes ou Saïd Barkat, de mener des actions caritatives conformément à la politique sociale de l'Etat algérien. Mais, on n'a pas le droit de gérer les deniers publics comme on gère une petite boutique du coin. Et au-delà des sommes colossales ayant fait l'objet de dilapidation ou de détournement, c'est d'ailleurs l'insoutenable légèreté avec laquelle sont gérées les affaires du ministère qui ont provoqué consternation et révulsion. À dire vrai, cette affaire de dilapidation des fonds de la solidarité n'a fait que révéler une des hideuses facettes du système Bouteflika.