Mohamed Hennad, ancien professeur de sciences politiques à l'Université d'Alger, nous livre, dans cet entretien, son analyse sur la situation politique du pays. Liberté : Malgré l'indifférence générale, le pouvoir persiste à mener campagne pour le référendum constitutionnel. Comment expliquer cette attitude ? Mohamed Hennad : Ne nous compliquons pas les choses : c'est, précisément, ce que veut le pouvoir. Se sentant acculé par un manque flagrant de légitimité, il opte pour une démarche autruchienne (sic !), au pas de charge, en réduisant les choses à leur plus simple expression : ou tu es avec moi ou tu te tais ! C'est ce qui explique la mise en sourdine, par divers moyens — souvent dilatoires — de toute voix dissonante à telle enseigne que les partis politiques n'existent plus que virtuellement ! De même, pratiquement tous les journaux et toutes les chaînes TV ont été tenus en laisse, à l'image de leur grande sœur, l'ENTV. Quant aux sites électroniques critiques, ils ont été tout simplement bloqués ! Mais c'est là que particulièrement le bât blesse, quand on sait que cette sale besogne est prise en charge par un professeur d'université, jadis réputé pour sa défense de la liberté d'expression et d'information ! Avant d'être promu au poste, bien sûr. Cela dit, il faut se rendre à l'évidence qu'il s'agit là de la seule manière pour le pouvoir de procéder pour permettre à un système, en fin de vie, de survivre un tant soit peu. Le pouvoir mise tout sur le projet de la révision de la Constitution. Pensez-vous que c'est la meilleure façon de résoudre la crise ? Force est d'admettre que c'est un manque flagrant de pudeur que de parler, aujourd'hui, de révision de la Constitution comme si cette révision était la panacée à la crise quasi existentielle que connaît le pays. Dans l'état actuel des choses, l'Algérie pourrait, aisément, se suffire de la Constitution actuelle dont le Hirak lui-même n'exigeait que l'application des articles 7 et 8. En effet, comment pourrait-on parler d'une révision de la Constitution alors que le pays traverse une crise multiforme : politique et morale, économique, sanitaire, etc. ? Il faut le dire franchement : le système FLN — appuyé par le haut commandement de l'armée — a éreinté le pays et fait perdre tout espoir à sa jeunesse, à telle enseigne que la harga a repris, crescendo, depuis la dernière élection présidentielle. Ceux qui sont à la tête de l'Etat refusent d'admettre qu'il y a une profonde crise de confiance à leur égard, voire à l'égard de l'Etat en tant qu'institution. Et tout ce qu'ils entreprennent comme mesures depuis cette élection va à l'encontre de l'instauration de cette confiance sans laquelle rien ne saurait être accompli. C'est pour cette raison d'ailleurs qu'il faut comprendre que la révision — présentée quasiment tel un talisman — est une simple fuite en avant pour, justement, contourner ce manque de confiance. Cela dit, le texte proposé montre bien que ses rédacteurs — pourtant des professeurs d'université et experts dans le domaine — ont péché par amateurisme et complaisance... un exemple de la "trahison des clercs" ! Le résultat de l'ouvrage est un texte fastidieux et triomphaliste, avec une préface s'étendant sur pas moins de trois pages, qui plus est, avec, tenez-vous bien, deux pleins paragraphes consacrés à l'armée ! Et puis, pourquoi 240 articles, alors qu'une centaine aurait suffi puisqu'il faut s'en tenir à l'essentiel, le reste étant l'affaire des lois et règlements et surtout de bon sens qui prévaut dans un certain nombre de nations respectables ? Aujourd'hui, les tenants du pouvoir nous promettent un référendum salutaire. Il est fort à parier qu'il passera avec le maximum de taux de participation et de voix pour. S'ensuivront des élections qui vont faire pâlir celles, frauduleuses, que le pays a connues depuis son indépendance. Vraisemblablement, le pouvoir actuel ne réalise pas toujours que tant qu'on ne s'en tiendra pas à l'essentiel, le pays continuera de sombrer. Contrairement au discours officiel qui évoque une "ère de liberté", des partis politiques de l'opposition se plaignent notamment de pressions des autorités. Pourquoi le pouvoir réagit-il ainsi ? De plus en plus de nos concitoyens découvrent que le pays respirait beaucoup mieux pendant l'ère du président déchu ! Et si les tenants du pouvoir actuel parlent d'une "ère de liberté", c'est bien la leur, dans la mesure où ils peuvent faire tout ce qui leur passe par la tête. Comment pourrait-on parler d'une ère de liberté avec des partis avilis — le méritent-ils peut-être, du moins pour certains —, une presse aux ordres, des chaînes de télévision dont le rôle est de relayer la propagande du système ? Le Hirak a été une expérience trop traumatisante pour le système novembro-militariste, si bien qu'il tient à ce qu'elle ne se reproduise plus jamais. Il est même fort probable qu'il veuille faire payer aux jeunes du Hirak leur audace : crime de lèse-majesté s'il en est ! Nous assistons, de manière générale, à un retour du discours unique. Sommes-nous en train de reculer et de revenir sur les acquis de la révolution du 22 février ? Est-ce qu'il y a vraiment un retour du discours unique dans la mesure où il a toujours été celui du système ? Pour ce qui est des acquis du Hirak, l'on constate que ceux qui nous gouvernent, malgré nous, s'évertuent à présenter leurs acquis à eux (la prise du pouvoir) comme étant ceux du "vrai Hirak", celui "béni", lequel, selon eux, s'arrête le 2 avril quand le président déchu a été obligé d'"abdiquer". Après cette date, tout mouvement citoyen est considéré par le nouveau pouvoir comme une trahison au pays et le fait de forces occultes et de mains étrangères qui voudraient du mal à l'Algérie sans que l'on sache trop pourquoi ! Enfin, aujourd'hui, il est surtout question de renouvellement du personnel politique, illégitime et incompétent, afin de permettre l'avènement d'une nouvelle génération de responsables et d'un nouveau mode de gouvernance qui romprait avec le discours prétendument novembriste. Il est temps pour tout le monde d'admettre que la légitimité novembriste a fait son temps ! Passons donc à autre chose. Entretien réalisé par : Ali Boukhlef