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En ruine
LA CASBAH D'Alger continue de tomber en décrépitude
Publié dans Liberté le 21 - 12 - 2020

Classée au patrimoine mondial de l'humanité depuis 1992, haut lieu d'histoire, la Casbah d'Alger n'est plus cette citadelle imprenable. Elle tombe en ruine. Les multiples projets pour sa sauvegarde n'ont pas pu stopper sa décrépitude. Elle risque une chute inexorable.
À l'amorce de la rue Ali-Laskri, à la Basse-Casbah, des madriers étayant une maisonnette chancelante gênent la circulation des piétons. Un sexagénaire donne spontanément une explication. "La doueret, en ruine, a été vidée de ses occupants au début de ce mois de décembre. Des squatteurs ont tenté de s'y installer. Ils ont été empêchés par les autorités communales, mais jusqu'à quand ? D'autres viendront s'approprier indûment les lieux."
Assis à longueur de journée devant l'entrée de sa boutique de dinanderie, accolée au palais Khedaouedj El-Amia (propriété de l'une des filles du dey Hassan Pacha reconvertie aujourd'hui en Musée national des arts populaires), il ne rate aucun mouvement inhabituel. D'innombrables échoppes d'artisans (maroquinier, cordonnier, menuisier, couturier...) séquencent la venelle, serpentant cette partie de la vieille ville relativement bien conservée.
Sur l'un de ses démembrements, à la pointe de la rue Marmon – actuellement Sidi-Ramdane –, une musique châabie émane du restaurant La Nostalgie, spécialisé dans la cuisine traditionnelle. Rachida, approchant la cinquantaine, s'assoit à l'une des trois tables, reprenant péniblement son souffle. "Je souffre d'une scoliose aggravée", se confie-t-elle.
Les chemins de la médina, sinueux, étroits et en escaliers, sont pédestres. Rachida est forcée d'y déambuler, appuyée sur sa canne, pour rejoindre les deux pièces-salle de bains qu'elle loue à 28 000 DA par mois. "C'est provisoire, le temps de terminer les travaux dans ma maison", précise-t-elle. Pourquoi avoir choisi une location aussi contraignante ? "J'aime ce quartier", répond la quinquagénaire, simplement.
"La Casbah captive les gens qu'elle agrée. Elle a une âme. Elle est unique au monde", commente le restaurateur, dont le père et le grand-père sont nés et ont vécu à la rue Debbih-Chérif. Il raconte l'anecdote d'un vieillard, atteint d'Alzeihmer, relogé, avec sa famille, à Birtouta. "Un jour, il est revenu à La Casbah, retraçant seul son itinéraire, instinctivement. Il n'avait pourtant plus toute sa raison." Cœur battant de la capitale, La Casbah est la source de son histoire séculaire et l'origine de son urbanisme expansionniste.
Son architecture est unique au monde. Elle est inspirée par la morphologie singulière du terrain en dénivelé, comme l'explique André Ravéreau dans son livre Et le site créa la ville. La médina prend naissance à la baie d'Alger. Elle se dévoile dans un écheveau de terrasses en cascade jusqu'à son point culminant, la citadelle d'Alger, centre du pouvoir politique, économique et financier du règne ottoman (théâtre du fameux incident de l'éventail entre le dey et le consul français en 1830).
Les vicissitudes du temps et les incessantes interventions bancales sur son bâti l'ont durement stigmatisée. Aujourd'hui, le quartier historique se montre dans l'apparence d'une femme, malmenée par la vie, arborant un sourire partiellement édenté dans un visage avachi. Au gré d'une marche aléatoire dans les dédales du site, le constat est effarant : une multitude de parcelles vides, par-ci croulant sous les débris, par-là aménagées gauchement en placettes publiques agrémentées par des tags sur l'USMA ou des chantres de la chanson chaâbie.
La rue Samala est complètement obstruée par les décombres d'une construction démolie. Ses murs gardent une partie de la fresque en mosaïque d'origine. À la rue des Abderames, un amas de pierres en monticule rappelle l'effondrement d'une bâtisse, à la veille de l'Aïd El-Adha (juillet 2020). Le sinistre a failli emporter les membres d'une famille, ayant érigé un ghetto sur son flanc. "À chaque fois qu'une doueret tombe, elle fragilise celle qui la surplombe", avertit Hichem Hamouda.
Il est propriétaire d'une demeure à l'architecture traditionnelle au 11, rue des Abderames, à quelques encablures de l'endroit – toujours en ruine – où sont tombés en martyrs Ali La Pointe, Hassiba Ben Bouali, Petit Omar et Mahmoud Bouhamidi, dans l'explosion d'une bombe en 1957. "L'entretien coûte cher, particulièrement le transport des matériaux à pied et la main-d'œuvre. Honnêtement, je n'ai pas réalisé de grands travaux, mais juste des réparations. Le gros problème est l'affaissement des sols en raison de la remontée des eaux", décrit-il. A-t-il bénéficié de l'aide de l'Etat ? "Non, jamais. Mon voisin l'a sollicitée. Le chantier a duré cinq ans pour un résultat catastrophique", affirme-t-il. Le jeune chef de famille a conservé les lieux sans modification et sans chercher à les expertiser.
"Habiter à La Casbah est un bonheur"
Khaled Mahiout, artisan d'art traditionnel, rue de La Casbah rebaptisée Sidi Driss-Hamidouche, rénove par intermittence la douéra héritée de ses parents. Elle est composée d'un sous-sol, d'un entresol, de deux étages et d'une terrasse offrant une vue imprenable sur la baie. "L'entreprise est compliquée et coûteuse. Les locataires, qui ont quitté notre maison en novembre 1986 à la faveur d'une opération de relogement, l'ont laissée dans un état catastrophique. Je ne pouvais pas l'occuper avant 2001 à cause du terrorisme."
L'absence d'entretien a accéléré le processus de dégradation. "Pendant ces années-là, les riverains jetaient leur casse dans mon patio. Il m'a fallu deux ans pour m'en débarrasser en payant le prix fort. J'ai assuré les travaux de restauration effectués sur fonds propres. L'Etat a pris en charge juste l'étaiement de la structure", raconte-t-il. L'artisan menuisier a refait la maçonnerie, les plafonds, les escaliers, les portes, et a couvert le puits de lumière d'une verrière.
"J'ai dépensé, en 17 ans, près d'un milliard de centimes. Et ce n'est pas encore fini", poursuit-il. Il nous montre une bâtisse mitoyenne, identique à la sienne. "On dit qu'elle a été vendue à plus d'un milliard de centimes, alors qu'elle est partiellement détruite." Renoncer à un bien à la Casbah est inenvisageable au regard de Hichem Hamouda.
"C'est un patrimoine qui n'a pas de valeur vénale. Il ne se vend pas." Nacer, sculpteur sur du cuivre repoussé, corrobore. "Habiter à La Casbah est un bonheur. Mais nous n'avons pas toujours les moyens d'entretenir nos maisons. J'ai avancé 30% des frais de la rénovation, et le reste a été assuré par l'Etat. C'est un travail bâclé", témoigne-t-il. Il réside en face des maisonnettes, dans lesquelles sont nées la chanteuse Fadila Dziria et l'actrice Fatiha Berber, aux n°3 et 4 rue Boulaba, à la Basse-Casbah. L'une est occupée par une famille, l'autre, déserte, tombe en ruine.
Légèrement en contre-haut de la rue Arbadji se dresse la demeure natale de l'acteur français Roger Hanin. Face à la fontaine Bir Djebah, au 1, rue Bourahla, se profile la façade aveugle de la douérette dans laquelle ont été tournées, en 1937, des scènes du film Pépé le Moko avec Jean Gabin. Chaque rue, chaque pierre, chaque bâtisse... garde en mémoire les réminiscences de faits, de personnes, parfois de drames (incendie ayant ravagé le Palais la Jenina en 1844, la bataille d'Alger pendant la guerre de Libération nationale, les exactions terroristes durant la décennie noire...). Tis Abderrahim, guide professionnel, ressuscite quelques bribes de l'histoire du site.
"Malheureusement, des citoyens ont profité de la période du terrorisme pour détruire les maisons d'origine et les remplacer par des constructions en béton avec balcon et toiture en tuile", regrette-t-il. Des pièces sont rajoutées grossièrement sur les terrasses, gâchant la vue plongeante sur la mer.
"La Casbah a beaucoup perdu de son authenticité, surtout pendant les années 90, à cause des interventions non étudiées. Les squatteurs, qui n'ont pas conscience de la valeur du patrimoine culturel que représente La Casbah, l'ont transformée en lieu de transit pour l'obtention d'appartements", soutient Bilel Irmouli. L'association nationale Tourathe-Djazirna, qu'il préside, pilote des actions sur la revalorisation du quartier historique.
"Les îlots les mieux préservés et les plus propres sont ceux habités par les véritables propriétaires. Venez, je vais vous montrer là où les touristes ne sont jamais emmenés", propose Mourad, après nous avoir fait visiter fièrement sa maison. Il s'engouffre dans un labyrinthe de ruelles étroites, jonchées d'ordures ménagères et hachurées par un ruissellement permanent d'eaux viciées.
Certaines façades, décrépies, préservent néanmoins le charme conféré par la silhouette réctiligne des encorbellements et l'entrelacement des sabats (passages voûtés servant à renforcer la structure porteuse de deux maisons en face-à-face). En 2014, une enveloppe financière de plus de 23 milliards de dinars a été affectée à la wilaya d'Alger pour la mise en œuvre de la première phase du plan de restauration d'une dizaine de monuments majeurs et 200 maisons de la vieille ville dans le cadre du plan permanent de sauvegarde.
Les réalisations ont patiné pendant quatre ans dans des démarches procédurales. En décembre 2018, la perspective de confier le projet à Jean Nouvel a suscité une grosse polémique. Plus de 400 personnalités des deux rives de la Méditerranée incitent, dans une pétition rendue publique, l'architecte français à renoncer au projet. L'option est abandonnée sans permettre de progresser davantage dans l'exécution du plan.
À ce jour, quelques palais et une partie de la forteresse sont réceptionnés et ouverts récemment au public. "Nous pouvons capter jusqu'à un million de touristes par an, en exploitant un parcours qui passe par 18 monuments", expose Abdelkader Dahdouh, président de l'Office national d'exploitation des biens culturels (OHEBC), devant la ministre de la Culture, le 14 décembre dernier, jour de commémoration du 28e anniversaire de classement de La Casbah par l'Unesco patrimoine universel. Le discours est séduisant. Les actes ne suivront pas forcément.


Reportage réalisé par : Souhila Hammadi


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