Il a soutenu jusqu'au bout Abdelaziz Bouteflika dans son entreprise de garder le pouvoir. L'ancien chef d'état-major, sentant le vent tourner, s'est retourné contre le Raïs avant de décapiter l'essentiel du personnel au pouvoir. Il y a une année disparaissait le chef d'état major de l'armée, Ahmed Gaïd Salah. Ce recul de douze mois permet de mesurer, un tant soit peu, l'impact de son emprise sur le cours des événements, à une période charnière de la vie de la nation. L'homme n'était guère destiné à devenir le "décideur", le "broyeur", à la fois d'une partie du régime et du Hirak, à en croire les assertions d'anciens hauts gradés dans l'armée nationale. Les généraux à la retraite Hocine Benhadid et Khaled Nezzar, essentiellement, le qualifiaient de "rustre", d'"impulsif" et doté "d'une intelligence moyenne". Comment a-t-il donc accaparé les pleins pouvoirs en mars 2019 ? Le secret ne sera probablement pas levé avant longtemps encore, ou peut-être a-t-il été carrément enterré avec lui. Une évidence s'impose néanmoins : Ahmed Gaïd Salah s'est révélé dans la peau d'un chef militaire, perspicace et rusé. Contre ses détracteurs, il se montre rapide et incisif. En janvier 2019, il adoube à un cinquième mandat, Abdelaziz Bouteflika, à l'ombre duquel il se confinait depuis 2004. Deux mois plus tard, il brandit la menace, dans une allocution prononcée depuis une caserne devant les plus hauts gradés des corps constitués, de l'application de l'article 102 de la Constitution (destitution pour cause de maladie). Le soir même, le chef de l'Etat renonce à son mandat. Le général-major accuse, ensuite, des "parties" qu'il n'identifie pas immédiatement, de trahison et de complot contre l'institution militaire. Au bout de trois discours successifs, il désigne les présumés coupables : Saïd Bouteflika, les deux anciens patrons du DRS, Mohamed Mediène et Bachir Tartag, et dans le sillage la Secrétaire générale du Parti des travailleurs Louisa Hanoune. Le témoignage à charge de l'ancien président de la République Liamine Zeroual le conforte dans sa démarche. Les quatre personnalités susmentionnées sont mises sous mandat de dépôt par le tribunal militaire de Blida, le 8 mai. Parce qu'il a critiqué sa gestion des affaires de l'Etat dans un tweet, le général à la retraite Khaled Nezzar passe du statut de témoin à celui d'accusé d'atteinte à l'unité nationale et à l'intégrité de l'institution militaire. Il sera condamné, par contumace au même titre que son fils Lotfi et son conseiller Farid Benhamdine, à 20 ans de prison ferme par le tribunal militaire de Blida. Un mandat d'arrêt international est aussitôt lancé contre eux. Les généraux à la retraite Hocine Benhadid et Ali Ghediri sont également incarcérés pour avoir proféré des critiques sur l'homme fort du régime à l'époque (ou du moins le semblait-il). Gaïd Salah n'est pas allé en guerre uniquement contre ses adversaires dans les arcanes du sérail. Il s'est échiné aussi, par maintes ruses et manœuvres, à dompter le mouvement citoyen. Il a alterné dans ses discours hebdomadaires, la bienveillance et le ton belliqueux. C'est ainsi qu'il a emprisonné des militants connus (Karim Tabbou, Lakhdar Bouregâa, Samir Belarbi, Fodil Boumala, activistes du RAJ), et des citoyens investis dans le Hirak. Le 19 juin 2019 à partir de Béchar, il interdit le déploiement d'un emblème autre que le drapeau national. Dès le vendredi suivant, le coup d'envoi à la traque des porteurs de l'emblème amazigh est donné. Au fil des semaines, ce sont des dizaines de jeunes manifestants qui seront mis en détention à cause de cet emblème. Mais la mobilisation, les jours des grandes marches, n'a pas faibli pour autant. C'est pourquoi, il ordonne alors la fermeture de la capitale, aux résidents des autres wilayas, les vendredis. Vaille que vaille, il met à exécution une feuille de route fondée sur une élection présidentielle, pourtant contestable et contestée. La victoire du candidat Abdelmadjid Tebboune qu'il a soutenu est proclamée le 13 décembre. Il venait peut-être, à travers cette élection d'un civil, de permettre à l'armée, de se retirer de la "façade politique" qu'elle a eu à assumer malgré elle durant une période charnière. Dix jours plus tard, l'annonce de son décès est accueillie avec circonspection par l'opinion publique. Le général de corps d'armée a eu certes des funérailles dignes d'un chef d'Etat. Mais certaines de ses décisions contestées alors sont, aujourd'hui, remises en cause. La réhabilitation du général à la retraite Hocine Benhadid par le haut commandement militaire en est un exemple.