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Le corps sec du décolonisateur perpétuel
L'Autre Algérie
Publié dans Liberté le 25 - 03 - 2021


Par : Kamel daoud
écrivain

La colère. De préférence collective, exagérée ou épique. De préférence extatique et disproportionnée pour en souligner la nature transcendante, l'ire divine. En Algérie, on en parle avec le sourire fier, une petite grimace d'excuses en coin, comme pour faire pardonner une nature. Pour en tirer presque la preuve d'une sorte de virilité nationale, de solidité du caractère. Il est imaginé que c'est un reste de vaillance et la preuve de la fierté brute, l'élan ample de nos guerres de liberté. Selon la caricature appréciée, un Algérien ne l'est pas par le passeport ou les morts de sa généalogie, mais par sa propension à la colère. Sourcils froncés, front bas de l'entêté, mâchoire serrée, l'œil méfiant : voici notre masque tourné vers le reste de l'humanité et même vers les nôtres, les uns les autres, nous-mêmes. C'est en rentrant il y a quelque temps du Sénégal vers Alger (bien avant le Covid), très tôt à l'aube, que je fus frappé par cette tension musculaire qui m'attendait comme une armure naturelle à la sortie du "hub". Mon corps reprit, sans ma volonté, une posture inconsciente, se cabra contre une agression théorique. Je me vis me préparer, sans le vouloir, par reflexes, à une confrontation. Avec quoi ? Qui ?
À la sortie de l'aéroport, le ciel était serein comme après un pardon, mais je fus possédé par ce raidissement des épaules, cette tension faciale et cette dureté de la langue qui, dans le palais obscur, s'apprêta à ramasser des cailloux et à les lancer sur le premier vis-à-vis. Je rentrai d'un pays pauvre mais calme, serein et humble, et je compris, brusquement en marchant vers les taxis, que mon corps y avait oublié de se faire carapace. Cela m'arriva à Dakar puis à Hanoï, puis à Oslo. Si loin de notre guerre nationale, je découvris dans les rues de ces capitales un étrange délassement, la possibilité de me fondre. Voilà que je pouvais desserrer les dents et apprécier la langueur, ne pas me sentir traqué, perdre des armes imaginaires et tout simplement déambuler dans un monde en paix. Mon corps avait déduit que ces terres n'étaient pas des champs de bataille, et il se relâcha. En rentrant, je repris des armes qui n'existaient que dans mon imaginaire.
Tout alors, dès l'aéroport, reprit son rôle : le policier de la PAF devint un agent de l'adversité et de la coercition, je cherchais à surprendre des complices dans la foule, j'entendis des murmures de tranchées face aux guichets et des groupes se formèrent, comme aux anciens temps de la résistance. Le policier nous fixa comme des intrus, des déserteurs, des envahisseurs. Le chauffeur de taxi comprit que j'étais Oranais, je m'en méfiais car il était Algérois, et quand on prit la route, on devint solidaire car la capitale est celle du pouvoir qui, lui-même, se protégeait contre moi, les miens, nous, parce qu'on venait de loin. L'armée des frontières nous apporta avec les frontières.
Je pensais à la longue route trop éclairée pour ma clandestinité génétique, le chauffeur de taxi avait un regard fourbe et un homme avec un chariot de valises me coupa le chemin et je l'insultai abondamment en mode muet. J'étais dans un champ de guerre.
J'ai éprouvé la même raideur du corps à chacun de mes retours. Du Sénégal, la terre généreuse, de Taiwan, de Singapour, de l'Italie ou de la Norvège. La colère m'attendait et je l'endossais comme un uniforme national avant même l'atterrissage. Dès l'embarquement dans le pays tiers. Je vérifiais l'uniforme surtout au tapis de bagages, là où commence la conscription mentale.
Il me fallut encore quelques années avant de saisir une évidence : nous sommes tout le temps en colère en Algérie ! Comme des enfants abandonnés, des orphelins ou des écrasés. Une amie raconta, par exemple, que "les articles de presse des journalistes algériens ressemblent à des hurlements, des cris de disputes". Bien sûr, viendront vite ceux qui vous diront que nous sommes les enfants et les petits-enfants d'une colonisation dure et que la guerre retentit encore dans le muscle. Et c'est vrai et c'est faux. Nous sommes les enfants d'une violence, mais on y a pris racines et on croit qu'en guérir, c'est trahir et oublier. Alors, on continue. À tirer en l'air, sur nous-mêmes ou sur un ennemi qui s'est depuis longtemps retiré. La guerre est bien finie, mais nous cultivons encore des rites de sentinelle, des architectures de miradors et des passions pour les défilés, le pourpre du sang héroïque et l'amalgame volontaire entre le fusil, la virilité, la fierté et le soupçon envers les étrangers. La guerre est finie, mais il faut encore jouer son jeu et perpétuer ses postures. Car, sinon, il faudrait commencer à travailler et sortir du mythe.
Cette colère est là, on s'en défait si difficilement et au bout de longs voyages et de réflexion. Même le bonheur ne suffit pas à la dénouer, et c'est pour cette raison, peut-être, que nous avons la joie violente, éruptive, désordonnée et comme contrainte par un court délai. Parce que colériques, nous chérissons les grands affects. C'est admirable, mais pas plus.
Cette colère est là. Vous la ressentez et moi aussi. Parfois comme un mur qui empêche de rire à pleines dents, et d'aimer sans méfiance. Tout s'amplifie sous sa loupe grotesque, et quand elle passe, on s'affaisse et on attend, épuisés. Cela explique que nos révolutions soient cycliques, mais que nos soumissions soient si longues.
Mais cela explique aussi nos exagérations, le procès grimaçant que l'on fait au pays chaque matin, nos ricanements les uns envers les autres, nos fatigues et nos solitudes. On endosse souvent, d'ailleurs, des guerres qui ne sont pas les nôtres, et rêvons de guerres de libération qui ne nous concernent pas.
Mais quand, parfois, on est seuls, la colère se retourne contre nous, on la retourne dans tous les sens et elle se révèle n'en avoir aucun.
On s'assoit.
Perclus de fatigue.
Le corps de l'Algérien est souvent épuisé par cette colère dont il n'identifie pas le coûteux effort en lui, ni le poids contre nature. Nous sommes un peuple d'épuisements et d'exaltations.
2- Que se passe-t-il quand un Algérien atteint l'universalité par son art, son talent, son génie ou sa chance ? Il gagne tout et perd sa nationalité. Elle lui est retirée violemment par les siens, par ceux qui sont restés. L'universalité est pour nous un choix traître, une traîtrise. Elle signifie occidentalisation, refus du retour au pays, alliance avec l'ennemi, dissidence. Car l'Extérieur est l'ennemi et la mer est son mur. "L'ennemi de derrière les mers." C'est l'expression, en arabe, consacrée pour définir le reste du monde, notre cartographie mentale. "L'ennemi de derrière les sables" est une expression qui n'existe pas. Le Sable est un allié. Un faux ancêtre. C'est par la mer que les envahisseurs sont venus et la mer est donc traîtresse, une porte mal fermée, une fenêtre cassée, une fissure aquatique dans la matière imaginaire de la frontière.
L'universalité nous est douloureuse. Et on le fait payer à ceux qui l'atteignent dans le firmament. La raison ? L'histoire, le mauvais temps, la colonisation, la météo, le corps, l'identité ou le thé, le vent qui apporte le sable et pas le changement. Le procès du traître est alors immédiat. Un seul pas hors du pays pour un Algérien est un grand pas vers les anciens souvenirs traumatisants pour le reste de l'humanité algérienne.
Mais, à la fois, comme il sied, nous voulons que le reste du monde nous reconnaisse. Nous admire, faute de nous aimer, porte nos enfants sur son dos et demande nos autographes de plus grands décolonisateurs du XXe siècle. En fait, nous voulons l'univers, pas l'universalité. Le premier est vaste, la seconde impose de relativiser ses croyances, reconnaître l'humanité et sortir de l'œuf étroit de son récit natal. Peuple des frontières comme l'armée des frontières. Nous voulons sortir et rester chez nous, voyager, mais sans bouger, naître, mais sans pleurer comme les nouveau-nés, avancer, mais sans se délester et vivre sans cesser de faire les morts et les martyrs. L'universalité est le contraire de tout cela. C'est une acceptation qui, pour le moment, nous terrorise : la mer est si vaste que nous y craignons non la noyade, mais la dissolution dans l'universel. La perte du sel national partagé depuis toujours.


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