Fethi Nouri a exercé de longues années durant le métier de comédien en Italie. En 2013, il campe le rôle de Didouche Mourad dans le film "Ben M'hidi" de Bachir Derraïs. Il décide alors de se réinstaller à Annaba où il ouvre, le 15 août dernier, "La mise en scène", premier café-théâtre en Algérie. Dans cet entretien, il évoque son aventure italienne, mais surtout les difficultés administratives auxquelles il a fait face pour créer cet espace qui tend à promouvoir et à lancer les jeunes talents. Liberté : Vous avez exercé durant de nombreuses années le métier de comédien en Italie. Pouvez-vous revenir sur cette expérience ? Fethi Nouri : J'ai suivi une formation de quatre ans et demi à Padoue (nord-est de l'Italie). En parallèle, j'ai entamé ma carrière dans des courts-métrages (5-6 au total). À cet effet, j'ai été repéré et l'on m'a proposé de passer un casting à Milan pour les besoins d'un film. Suite à cette étape, j'ai été retenu pour jouer dans mon premier film cinématographique intitulé I corpi estranei du réalisateur Mirko Locatelli, dans lequel j'ai donné la réplique au grand comédien Filippo Timi. Et à partir de là a commencé ma carrière de comédien professionnel. Par la suite, j'ai été sollicité pour jouer dans le long-métrage Ben M'hidi de Bachir Derraïs, où j'interprète le rôle de Didouche Mourad ; comme la préparation du film était assez longue et ma présence était nécessaire, j'ai décidé de me réinstaller en Algérie. De retour au pays, avez-vous rencontré des difficultés pour vivre de votre art ? C'est difficile de vivre de notre métier, de notre art ! Cette situation ne touche pas seulement l'Algérie, mais beaucoup d'acteurs dans le monde, sauf pour les stars hollywoodiennes. C'est dur de vivre de notre passion devenue notre gagne-pain. L'an dernier, vous avez ouvert "La mise en scène", premier café-théâtre en Algérie. Comment est né ce projet ? Quand je me suis réinstallé en Algérie en 2013, j'ai réfléchi sur un projet qui pourrait avoir un lien étroit avec mon métier d'acteur, alors m'est venue l'idée de créer la "Mise-en-scène", premier café-théâtre dans le pays. Avant mon retour, je me rendais souvent à Annaba pour des vacances auprès de ma famille, malheureusement j'avais constaté qu'il n'y a pas d'espaces dans lesquels des familles ou des amis peuvent déguster des délices tout en appréciant un spectacle artistique. Tandis qu'ailleurs, notamment en France ou en Italie, il y a plusieurs cafés-théâtres, et c'est un concept qui marche bien à l'étranger. À cet effet, je me suis dit : "Pourquoi ne pas réaliser ce genre d'établissement en Algérie ?" et finalement cela a marché ; les gens adhèrent au concept. Aujourd'hui, dans la ville d'Annaba, il y a un endroit où les gens peuvent siroter un café et assister à un spectacle artistique. Quels en sont les objectifs ? Les objectifs de ce café-théâtre est de produire régulièrement des spectacles pour le public annabi, mais surtout de lancer les jeunes talents. Je connais très bien la frustration des artistes qui ne trouvent pas un espace de liberté, un espace où ils peuvent s'exprimer librement ou faire exploser leur énergie et leur talent. Je connais cette frustration car je l'ai vécue personnellement avant de partir en Italie : je voulais faire du théâtre mais je ne trouvais pas d'endroit pour pouvoir m'exprimer. L'idée de créer la Mise-en-scène tournait autour de cet objectif-là : faire découvrir les jeunes talents et leur donner la chance de s'exprimer. Les artistes amateurs ont-ils leur place sur votre scène ? Oui, nous encourageons les artistes amateurs. La Mise-en-scène est avant tout à la disposition des artistes amateurs, exerçant dans différents domaines (musique, actorat, peinture, photographies, poésie...). J'encourage beaucoup les jeunes et je le fais à titre gracieux pour promouvoir la culture. Est-ce facile de créer ce genre d'établissement en Algérie ? À votre avis, pourquoi êtes-vous le seul à l'avoir réalisé ? Ce n'est nullement facile de créer ce genre d'établissement en Algérie. D'ailleurs, en termes juridiques, le café-théâtre n'existe pas au niveau du CNRC des registres du commerce. Il existait un code de café-concert (pratiquement la même chose), mais il a été retiré. Alors, j'ai dû "inventer" plusieurs codes pour le registre du commerce afin que je puisse créer le café-théâtre. Il faut savoir qu'en termes administratifs, j'ai mis deux ans pour pouvoir régler tous les papiers exigés. Hélas, on n'encourage pas les porteurs de projets, pour la création d'endroits culturels qui peuvent éduquer les jeunes. La société connaît une crise en termes d'éducation et de culture, pour ces raisons-là ils devraient proposer des solutions pour faciliter la création de ce genre d'établissement éducatif. Je pense être le seul, car il faut faire face à de nombreuses difficultés administratives pour la réalisation de ce genre d'espace, et j'ai dû militer et combattre pour pouvoir créer un tout petit café-théâtre. Qu'en est-il de la programmation ? J'essaie de programmer tous les week-ends des spectacles de musique animés par de jeunes groupes musicaux, des talents et des énergies très positives d'Annaba. Je leur offre la chance de s'exprimer très souvent sur la scène du café. Outre les artistes bônois, nous attendons la réouverture pour qu'on puisse ramener des talents des quatre coins du pays. La programmation touche également l'humour à travers le stand-up, et je travaille énormément avec les associations culturelles qui organisent des spectacles dans le cadre de leurs activités. Prochainement, nous organiserons un concours de stand-up national, dédié à l'humour algérien. Nous œuvrons également pour la création d'une association, afin qu'on puisse organiser des ateliers de théâtre au sein du café. Certes, il y a beaucoup de pain sur la planche, mais nous essayons de résister pour que nous puissions réaliser tous nos objectifs et proposer ainsi une programmation très large et très riche. Le public est-il présent ? En si peu de temps, nous avons conquis un bon public fidèle au programme. D'ailleurs, à chaque événement on enregistre full. C'est vrai que nous n'avons pas une grande salle (capacité de 60 chaises), mais c'est un début. Cela nous encourage à continuer et à programmer ainsi différents spectacles. Ce genre d'initiative peut-il contribuer à l'essor de l'économie culturelle ? Je pense que si d'autres initiatives comme la mienne voient le jour dans plusieurs villes du pays, cela pourra contribuer activement à l'économie culturelle. Si dans chaque wilaya il y a 4-6 établissements de ce genre qui proposent différents programmes pour les populations locales, imaginez la richesse que cela pourrait produire sur le plan purement culturel ou financier. On peut à travers cela faire travailler et nourrir des familles directement et indirectement. Je pense que ce genre de projet peut aider l'économie dans tous ses aspects. À ce propos, mon objectif sur le long terme est d'ouvrir un peu partout en Algérie, et la prochaine étape sera d'ouvrir un café-théâtre dans la capitale.