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"LA COLONISATION EST LE PRINCIPAL OBSTACLE À LA SOLUTION À DEUX ETATS" XAVIER GUIGNARD (CHERCHEUR AU CENTRE DE RECHERCHE NORIA RESEARCH ET SPECIALISTE DE LA PALESTINE)
Chercheur au centre de recherche indépendant Noria Research, Xavier Guignard donne un éclairage de la situation actuelle en Palestine, de la trêve fragile entre le Hamas et Israël, les moyens pour sa consolidation et la faisabilité et les contraintes objectives pour mettre en œuvre a solution à deux Etats, telle que préconisée par l'ONU. S'il estime que le règlement de ce conflit passe inévitablement par le respect des droits fondamentaux humains et politiques des Palestiniens, le spécialiste de la Palestine souligne aussi le devoir de la communauté internationale de prendre la réelle mesure de ce qui se joue en Palestine et en Israël, et de parler de colonisation et d'apartheid. Liberté : Après 11 jours d'hostilités qui se sont soldés par 249 morts palestiniens et 12 du côté israélien, le Hamas et Israël ont observé une trêve. Qu'est-ce qui a motivé les deux parties à accepter le cessez-le- feu ? Xavier Guignard : Déjà du côté palestinien, le Hamas s'exprimait au nom de tous les groupes armés palestiniens à Ghaza, et, c'est très important de le rappeler, a annoncé un ultimatum comme l'a demandé la chambre de commandement unifié. Dès le premier jour, le Hamas a fait savoir qu'il avait engagé des discussions via l'Egypte pour un cessez-le-feu. C'est Israël qui a mis plus d'une semaine à répondre. Le Hamas voulait limiter au maximum les tirs de missiles sur Ghaza et n'a pas réussi à obtenir ce qu'il voulait, à savoir la levée de toutes les sanctions contre les Palestiniens de Jérusalem, ce qui était sa demande initiale. Quant à Israël, il a concédé au bout d'une semaine le cessez-le-feu pour deux raisons : il y a eu une pression internationale qui était forte, mais surtout l'armée israélienne n'avait plus de cible à proposer aux tirs. Toutes les cibles dont ils avaient connaissance de lieux de fabrication de missiles supposés ou de lieux de commandement militaires avaient été touchées. Et forcément ils ne savaient pas quoi faire de plus qu'ils n'avaient fait. C'est ce qui a motivé la conclusion d'un cessez-le-feu. Le Hamas prévient qu'il reste "prêt à dégainer", alors qu'Israël se dit aussi "prêt à attaquer de nouveau" puisque son artillerie était déjà déployée à Sderot. Est-ce le signe d'une trêve précaire ? Bien sûr qu'elle est précaire. Parce que les deux parties sortent d'une semaine de conflit qui a été particulièrement meurtrière du côté palestinien qui a enregistré 250 morts, dont la moitié sont des femmes et des enfants, et le reste on ne sait pas si c'étaient des civils ou des membres de groupes armés. Il y a eu la destruction d'infrastructures civiles, des bibliothèques, des centres de santé, et la principale route vers l'hôpital qui a été détruite. Donc, il y a une véritable colère, et ils ne peuvent pas complètement baisser les bras face à cela. Et Israël en face, vis-à-vis de son opinion publique, ne pouvait pas non plus faire taire complètement les armes. Il y a une forme d'attentisme. A priori, le cessez-le-feu qui a été trouvé risque de durer et c'est tout l'enjeu des négociations actuelles. Mais la violence pourrait repartir, on n'y croit pas sur le terrain. Je pense que le cessez-le-feu va durer, pour la simple et bonne raison que les deux parties auraient plus à perdre à le rompre qu'à le tenir. L'ONU a préconisé la relance de négociations politiques pour consolider cette trêve. Considérez-vous le contexte actuel propice à la relance d'un tel processus politique, sachant qu'on n'est plus dans la même situation d'il y a 25 ans, lorsque les accords d'Oslo ont été conclus ? La première difficulté à laquelle le secrétaire d'Etat américain, qui est en visite aujourd'hui au Proche-Orient, va se confronter, est qu'il n'y a plus vraiment d'interlocuteur au niveau palestinien qui soit légitime. Le Hamas a regagné en légitimité, parce que la résistance était soutenue, mais politiquement il n'est pas spécialement plus soutenu que l'autorité palestinienne l'est, et qui est la grande absente de ces derniers jours. Donc, aujourd'hui, il n'y a plus personne du côté palestinien qui a une véritable légitimité pour embarquer les Palestiniens dans ce genre de négociations. Des négociations auxquelles plus personne ne croit, du côté palestinien comme du côté israélien, qu'elles peuvent déboucher sur une quelconque solution. Ce à quoi appelle l'ONU, c'est à continuer à faire vivre le mythe d'une solution à deux Etats qui n'est plus possible. La solution à deux Etats repose sur une idée forte qu'est la possible séparation entre Israéliens et Palestiniens. Or, tout ce qu'on voit depuis Oslo et ce qu'on a vu ces dernières semaines démontre à quel point la situation est entremêlée. Israël est en mesure aujourd'hui de boucler la Cisjordanie, elle a mené un blocus à Ghaza et poursuivi la colonisation à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Il n'y a plus aucune situation où les deux ne sont pas particulièrement entremêlés. Ce qui fait qu'on peut relancer les discussions, mais l'objectif final est absolument inatteignable. Les Etats-Unis, qui semblent pris de vitesse, ont fait part de leur intention de relancer la solution à "deux Etats".Pensez-vous qu'ils ont les coudées franches, ou du moins assez pour forcer la main à Israël pour qu'il s'engage dans un tel processus ? Absolument pas. La question à laquelle doit répondre toute initiative diplomatique sérieuse est déjà de faire le bilan de la situation actuelle et de voir ce qu'était la situation en Israël et en Palestine en 1993 quand les accords d'Oslo ont été signés, et quels sont aujourd'hui les principaux responsables d'Israël de la colonisation, qui est le principal obstacle à la solution à deux Etats. Et à partir de là, essayer de voir quelles sont les chances possibles. Si on peut démanteler 600 000 colonies, alors une solution est possible. Ou alors cela demande à ce qu'on fasse accepter aux Palestiniens un Etat qui soit morcelé, sans pouvoir, sans souveraineté et sans compétences. Ce à quoi les Palestiniens s'opposent depuis 25 ans. Aussi, l'Europe n'arrive plus à parler d'une même voix au sujet de la Palestine. Ne pensez-vous pas qu'elle a, pour autant, perdu son rôle de médiateur dans ce conflit ? Vous avez raison, l'Europe est divisée sur le conflit. Elle l'est plus que jamais avec la montée en Europe des mouvements populistes et d'extrême droite qui sont pro-israéliens, et qui menacent l'unité diplomatique européenne si jamais l'Europe essaie de tenir une politique de respect qui soit a minima des droits fondamentaux des Palestiniens. Cette incapacité à parler d'une seule voix ne change pas grand-chose, parce que l'Europe n'a jamais été un acteur très puissant sur le dossier israélo-palestinien. L'Europe a été un acteur économique important, mais diplomatiquement personne n'a rien attendu d'elle sur ce dossier. À mon avis, c'est un faux débat qui montre aujourd'hui que l'Europe n'a aucun poids politique et qui ne change pas grand-chose au quotidien pour les Palestiniens. Comment voyez-vous les perspectives d'évolution de ce conflit ? Va-t-on vers plus d'apaisement et une solution politique ? Déjà que j'ai tendance à ne pas parler de parties dans ce conflit, parce qu'il n'y a pas véritablement de parties égales, mais une colonisation et un régime qui ressemble de plus en plus à un régime d'apartheid qui est infligé aux Palestiniens. La solution serait la capacité d'Israël à respecter les droits fondamentaux humains et politiques de tous les Palestiniens. On en est très loin, il n'y a pas de solution à court terme qui semble se dessiner. Je pense que la solution ne pourra venir que le jour où la communauté internationale prendra réellement la mesure de ce qui se joue en Palestine et en Israël, et acceptera de parler de colonisation et à parler d'apartheid, et à partir de là elle se conduira vis-à-vis d'Israël comme elle doit se conduire vis-à-vis d'un pays qui poursuit une pratique coloniale et d'apartheid. Tant qu'on exonérera Israël de la responsabilité de tous ses crimes, il n'y aura pas de solution possible.