Même au fond de leurs cellules, ils gardent pleinement leur lucidité politique. L'arbitraire qu'ils subissent ne leur fait pas perdre le sens élevé des responsabilités et surtout leurs capacités à déjouer les manipulations les plus pernicieuses. Les cinq détenus de Tizi Ouzou placés sous mandat de dépôt depuis le 27 juin dernier pour, entre autres, "appartenance à organisation terroriste" refusent à ce que la Kabylie soit entraînée dans une quelconque machination étrangère aux aboutissants incalculables. Et c'est pour se dresser contre la sédition de la Kabylie à laquelle le régime marocain a appelé que Hammou Boumedine, Bouaziz Aït Chebib Hocine Azem, Belaïd Ammar Khodja et Boussad Becha ont dénoncé la tentative des officiels marocains d'instrumentaliser la Kabylie. Dans une déclaration rendue publique, hier, par le biais de leur avocat, Mokrane Aït-Larbi, les cinq détenus d'opinion condamnent "les déclarations d'officiels marocains qui tentent d'instrumentaliser la Kabylie, son histoire, ses luttes, ses militants et ses détenus dans des rééquilibrages géopolitiques qui ne les concernent pas". Cette sortie vient couper l'herbe sous les pieds de la diplomatie marocaine qui tente le diable en Kabylie. La position des détenus ne souffre aucune ambiguïté. Elle balaie d'un revers de la main l'intrusion de l'Etat marocain dans les affaires internes de l'Algérie et empêche ainsi toute possibilité de surfer sur les divergences internes qui animent la vie politique nationale. Farouches opposants au pouvoir politique, les cinq détenus, qui plaident depuis longtemps pour une refondation de l'Etat dans le sens d'une autonomie régionale, les compagnons de cellule de Hammou Boumedine demeurent intransigeants sur la question de leur propre autonomie politique et intellectuelle. En filigrane, les cinq détenus, qui ont fait preuve d'une haute conscience des enjeux de l'heure, rejettent vigoureusement le soutien, aussi sournois que vicieux, des officiels marocains à la Kabylie, un soutien dont d'aucuns voient plutôt une tentative d'exercer un chantage contre l'Algérie concernant la question du Sahara Occidental. Leur sortie renseigne pleinement sur leur capacité de discernement par ces temps troubles. Sans sombrer dans le piège de la justification, leur déclaration comporte en effet plusieurs messages. Que la Kabylie ne serait faire le jeu d'Etats étrangers et qu'elle a de tout temps refusé de "pactiser avec le diable". Et par extension, les cinq détenus répondent à tous ceux qui en Algérie stigmatisent cette région qui a longtemps souffert d'ostracisme en tout genre. Une déclaration qui doit faire apprendre aux apprentis sorciers locaux les vertus du silence. Mais, en substance, leur message s'adresse aussi à ceux ont décidé de les mettre en prison leur montrant que leur patriotisme ne se négocie jamais. Et c'est en ce sens qu'ils réaffirment dans leur déclaration le "caractère arbitraire" de leur détention pour "des inculpations surréalistes" pour des militants ayant défendu pacifiquement leurs opinions. "Détenus depuis le 27 juin 2021 avec des inculpations surréalistes, nous réaffirmons avec force les convictions politiques plurielles que nous avons toujours défendues publiquement et pacifiquement", ont-ils écrit. Les cinq rappellent un principe cardinale de la démocratie en insistant que "dans leur diversité, ces opinions relèvent du débat citoyen et non de la justice pénale". A ce titre, les rédacteurs de cette déclaration ont tenu à dénoncer leur détention qui, qualifient-ils, "viole les principes fondamentaux du droit". Pour rappel, les cinq détenus sont poursuivis pour de lourdes charges, dont des délits et des faits criminels, sur la base de l'article 79 du code pénal et l'article 87 bis mis en vigueur suite à l'ordonnance présidentielle du 9 juin 2021 et publié dans le journal officiel n°45. Parmi les griefs retenus à leur encontre, figurent "appartenance à organisation terroriste", "atteinte à l'unité nationale et à la stabilité des institutions et à leur fonctionnement"... Il faut peut-être ajouter à ces chefs d'inculpation le délit de s'opposer fermement l'ingérence étrangère !