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L'exil fécond
Culture
Publié dans La Nouvelle République le 10 - 06 - 2020

Les faits relatés dans ce livre sont inspirés de la réalité vécue. Cependant, toute ressemblance avec des personnages réels, ayant existé ou existant toujours, n'est que pure coïncidence et ne relève point de la volonté de l'auteur. Mais, qui se sent morveux... se mouche !
L'auteur
«La littérature ne saurait se séparer des systèmes idéologiques au sein desquels ou même contre lesquels elle se forme. Elle est engagée malgré elle. Qu'ils le veuillent ou non, les plus farouches partisans de l'art pour l'art expriment encore une vision particulière du monde et de la cité».
William Marx
J'ai d'autres pensées, quant à moi, plutôt d'autres contrariétés. Je suis contrarié, justement. Et comment ne pas l'être quand ces voyages, auxquels je suis très attaché au demeurant, me contraignent inévitablement à faire des comparaisons, en relevant les différences criardes et le fossé qui nous sépare de ceux d'ailleurs. En effet, je vois le monde tourner à deux vitesses discordantes ou, plus exactement, dans deux sens diamétralement opposés. Le monde «d'ailleurs» enregistre une avancée des plus remarquables dans le sens du progrès et du développement, et ses résultats sont là pour démontrer la fougue laborieuse dans une organisation de haut niveau de la société. L'ardeur au travail de ses populations qui se sont fait un devoir de gagner toutes les batailles, de celle de la production et la création permanente de richesse, à celle de finir par nous imposer leur influence en matière de positions fortes sur les grands problèmes de la planète. Notre monde à nous stagne. Il a consommé le peu de crédit qu'il avait enregistré pendant ses moments de gloire, lors de l'avènement de son «âge d'or». Finie l'époque où il envisageait sa place au niveau de ces grandes nations qui, constamment, privilégient le travail et le rendement et gèrent leurs affaires avec beaucoup de rigueur, de discipline et surtout de crédibilité. Je demeure perturbé par ces pensées qui me mettent dans une position peu confortable. Elles me tourmentent, souvent, et m'amènent à remettre en cause notre système et à faire son procès, dans mon esprit, tout en augmentant mon taux d'adrénaline. Pourquoi, me dis-je, ces gens-là avancent à pas de géant, alors que notre destin nous soumet à l'ordre du déclin, car toute notre «société se soumet à la fatalité d'être gouvernée par le stupre, l'imposture et l'escobarderie» ? Doit-on continuer d'accepter d'être toujours tirés vers le bas, entraînés par le cynisme de puissants médiocres, par leur amoralité, leur fourberie, enfin par tout ce qui fait le système de notre pays et qui est loin de se voir «éliminé sous l'énoncé indigné des vices et la dénonciation enragée des fausses vertus» ? En effet, je suis parti un peu loin avec mon imagination. Je me suis laissé aller à mon raisonnement, hélas désespérant. Mais il faut bien revenir à la réalité, celle qui nous commande de travailler, chacun dans son secteur, pour tenter de changer la situation et corriger ce qu'il y a de plus taré et de plus éprouvant. Les autres choses, c'est-à-dire les grands problèmes... eh bien, ne dit-on pas chez nous «Allah ghaleb !», «Dieu est vainqueur !» ? Je disais que la mission est terminée, je m'apprête à rentrer chez moi. C'est le moment du retour. Je suis toujours à l'aéroport. J'attends au salon d'honneur qui grouille de monde. Mon avion n'est pas encore préparé pour le départ. Et voilà qu'après une petite accalmie – les lieux se sont vidés parce qu'une importante délégation vient de les quitter –, une mouche se pose sur ma main qui prend une partie de l'accoudoir du fauteuil où je suis installé. Je n'ai pas voulu la chasser, comme si j'avais pris goût aux rencontres avec les mouches. N'ai-je pas dit qu'elles me sont devenues sympathiques ? Et là, du même coup, elle m'interpelle comme le fit la première mouche avant mon départ en mission. D'une voix douce, elle me supplie de la recevoir en ma protection et de lui prêter toute ouïe. Surpris par cette autre interpellation, je m'en remets à mon destin et je balbutie : Est-ce le rêve qui se répète, me suis-je dit spontanément ? Et là encore, je me suis déplacé dans le vaste royaume de l'imaginaire, en voyageant dans le temps. Je revisite encore une fois l'histoire du roi Salomon, dialoguant avec ses fourmis, sa huppe et d'autres animaux. Moi aussi, me suis-je souvenu, j'avais dialogué, à l'aller, avec une mouche... une autre mouche. Elle m'a même édifié sur plusieurs choses au cours du voyage, me suis-je convaincu, pour accepter cette autre rencontre plus fortuite.
– Qui es-tu, ma petite, lui ai-je demandé ? Suis-je prédestiné pour «m'offrir» dorénavant des mouches en guise de compagnes de voyage et, précisément, à partir de l'embarquement ? Puisque tu parles, tu peux me dire d'où tu viens et où tu vas, pour que je puisse me préparer à une seconde épreuve, si c'est le cas ?
– Je suis une mouche, une simple petite mouche. Mais pourquoi me poses-tu cette question ?
– A dessein, parce que je pense à une autre mouche que j'ai déjà rencontrée il y a quelques jours. En réalité, je croyais, en te voyant, que tu étais celle-là, alors que je l'avais laissée bien loin, dans le décor d'un somptueux hôtel. Qu'a-t-elle fait entre temps ? A-t-elle eu le temps de trouver du travail comme elle le voulait ? S'est-elle installée convenablement dans sa nouvelle jungle ? Dieu seul le sait ! La mouche me regarde d'un air presque confus, comme si elle voulait s'excuser pour quelque chose que je ne pouvais comprendre sur-le-champ. Son regard en dit long. Sa présence déjà me suggère que beaucoup d'événements se sont produits depuis cette séparation. Et là, je suis en plein dans le rêve, ce rêve qui, d'après la nature, que confirme les scientifiques, ne dure que quelques instants, pour nous combler d'aventures qu'on croirait interminables… Ainsi, cette petite bestiole a fait du laps de ma mission, représentant une éternité dans son royaume, une occasion des plus propices pour faire des expériences profitables et revenir chargées de bonnes idées et... surtout d'engagement. Elle reprend la parole pour essayer de m'expliquer que cette autre rencontre n'est ni fortuite ni impromptue. Elle veut surtout me convaincre du bien-fondé d'une certaine volonté qu'elle conserve en elle et qu'elle souhaite mettre en œuvre. Je sens cela en elle, mais je ne sais pas ce qu'elle recherche... exactement. Elle me dit, sur un ton rassurant : – En effet, c'est de cela que je veux t'entretenir ! D'abord, c'est moi la mouche que tu as ramenée dans ce pays. Je ne voulais pas te le dire de prime abord, pour ne pas te choquer et pour ne pas que tu me prennes pour une folle ou une godiche qui ne sait quoi faire de sa vie. Il faut que je te dise ce qu'a été mon séjour dans cette jungle durant ce peu de temps, ce qu'a été ma préoccupation et ce qu'ont été mes aspirations. Tu constateras après que j'ai tout à fait raison de vouloir prendre une autre décision qui te fera certainement plaisir et nous conciliera avec les grandes vertus que sont l'amour de la patrie d'abord, et ensuite le sérieux, le travail, la solidarité et l'engagement.
– De toute façon je suis content de te revoir en parfaite santé, lui ai-je répondu avec confiance pour l'assurer de tout mon soutien, au cas où elle le souhaiterait. Je disais peu avant, que j'étais surpris par l'interpellation de la mouche. Maintenant que je sais que c'est encore elle, je suis stupéfait de me savoir rattrapé par le destin qui veut à tout prix m'associer au sien. Dois-je comprendre qu'il me demande de prendre conscience à partir des histoires significatives de cette mouche afin de m'appliquer davantage, sachant ma tâche très difficile ? M'enjoint-il qu'il faut coûte que coûte sortir de cette situation de crise qui jure de ne plus nous quitter ? De toute façon j'ai décidé de poursuivre cette odyssée avec la mouche jusqu'au bout et je laisse les choses venir ! Et place à ma compagne qui me tient un autre dialogue dans cet espace cossu. Je n'en reviens pas, tellement elle est consciente de la situation et déterminée à suivre son chemin.
– En vérité, je suis venue à ta rencontre pour te demander de me rendre un grand service, encore une fois, me dit-elle. Ensuite, elle me lance, sans appel :
– je dois retourner dans ma jungle. C'est décidé ! Je ne veux plus rester ici, dans cette jungle étrangère, à des milliers de kilomètres, loin de chez moi. Ma décision est prise, elle est irrévocable, je veux rentrer ! Insiste-t-elle dans un souffle pathétique. – Oui, d'accord, mais... – Il n'y a pas de mais, n'as-tu pas une boîte d'allumettes, répond-elle avec une triste ironie ? – C'est bon, je te prends avec moi. Mais, peux-tu m'expliquer dans les détails, ce qui s'est passé dans ta petite tête pour que tu renies complètement ton attirance vers l'extérieur et décide, comme cela, de revenir subitement dans ta jungle ? Est-ce le manque de liberté, de justice ou de démocratie qui te donne ces émotions ardentes pour revenir sitôt à ton bercail ? – Non ! Ce n'est pas cela. Tu es loin du compte. Ce que tu viens d'énoncer : la démocratie, la justice, la liberté, il n'y a que çà... Elles existent à profusion dans leur jungle. Ce ne sont que de bonnes choses qui font plutôt plaisir à tout le monde et rendent la vie plus facile, plus agréable, plus simple.
– D'accord, c'est donc les passe-droits, le favoritisme, qui t'ont ennuyée. Parce qu'ils doivent les pratiquer à haute échelle, là-bas où tu étais. Un peu comme chez nous... Elle s'esclaffe pour ce qu'elle considère comme une plaisanterie et reprend d'un ton sérieux :
– Non ! Ces pratiques n'existent pas dans ces jungles sérieuses. Les animaux que j'ai quittés ne connaissent même pas leur signification. D'ailleurs on ne les trouve pas dans leurs dictionnaires. Ils ont ouï-dire que celles-ci existent bel et bien quelque part, mais sans connaître leur raison et leur portée. En effet, ils savent qu'elles prédominent, dans d'autres jungles où elles sévissent férocement.
– Il s'agit alors du népotisme et du régionalisme, deux fléaux que nous arborons ostensiblement quand nous voulons nuire à notre équilibre et créer ces fossés entre nous qui font apparaître nos clivages et nos rancœurs ?
– Jamais, tu ne trouveras ces mauvaises conduites dans la jungle que je vais quitter, avec ton aide, si tu le veux bien, encore une fois. Tu sais, ces animaux ne vivent pas le Moyen-âge où de pareilles pratiques avaient cours. Ils sont tellement cultivés qu'ils n'ont pas l'intention de se faire mal en revenant à ces périodes pénibles. Et pourquoi, veux-tu qu'ils aient ces fléaux ? Ces temps et ces pratiques sont à jamais révolus pour eux.
– N'est-ce pas la corruption, le vol et la rapine qui t'ont fait déguerpir de ce milieu que tu crois peut-être malsain ? Car, il n'y a pas plus sale que ces malheurs qui viennent comme des cataclysmes pour détruire un monde qui n'aspire qu'aux bonnes dispositions de vie.
– Non ! Toujours non ! Ces malheurs, comme tu le dis, n'existent pas dans cette jungle et, s'ils subsistent d'une façon éparse, ils ne sont pas à l'échelle de ces autres jungles qui font dans l'étalage et l'excès. Ces malheurs ne touchent à mon avis que des animaux comme nous qui persistent dans la défiance des lois de la jungle, qui perpétuent leur ressentiment à l'encontre du pouvoir, qui n'ont toujours pas compris que la société des animaux, que nous sommes, n'accepte pas d'être régentée par des mafieux aux relents de vengeance contre un système qui les a faits... pardon, qui les a fabriqués et les a avantagés démesurément, à un moment où les plus honnêtes s'attelaient au travail et au rendement. Et c'est ainsi que l'alchimie soigneusement concoctée par des apprentis sorciers, s'est retournée contre eux, comme vous le dites si bien, dans votre langage des êtres humains !
– Alors, cela pourrait être certainement la saleté, la crise de logement, les pénuries et autres phénomènes que tu as rencontrés et qui t'ont déçue ?
– Absolument pas ! Ces phénomènes que tu évoques sont abolis dans tous ces coins du monde. Ils ont disparu avec les temps anciens où il y avait peu de moyens et où les gens manquaient de beaucoup de commodités et de certaines formes de bien-être. Ils ne sont apparents encore que chez nous, pour nous ridiculiser devant ceux qui connaissent nos potentialités et nos moyens, mais qui connaissent également notre paresse et notre oisiveté quant à vouloir les endiguer.
– Est-ce l'absence de travail et la frustration qui en découle qui t'a rendue allergique à cette jungle ?
– Egalement non ! Le travail existe en quantité suffisante pour celui qui veut se donner la peine d'en trouver. Quant à la frustration, elle n'existe pas dans ces contrées. Les animaux sont pareils, je veux dire égaux en droit et en devoir. Non, honnêtement, ce n'est pas de cela que je souffrais.
– Enfin, est-ce plutôt ce phénomène de projection et d'attachement à cet environnement qui ne t'appartient pas et qui te fait bouder les bienfaits d'un monde plus accueillant et plus appliqué ?
– Non ! Ce n'est vraiment pas tout cela.
Tu sais bien qu'en matière de liberté, de justice, de démocratie et d'autres situations pour lesquelles tu me posais des questions, personne ne peut contester leur ancrage dans la société. Ces bonnes conditions qui font que la vie est plus facile et plus saine que dans nos forêts et dans nos brousses, existent naturellement ici. Elles permettent à tous les habitants de cette jungle de changer constamment et de progresser. Plus encore, personne ne peut manifester de la mauvaise humeur ou de la mauvaise volonté quant à leur application effective au quotidien. Il n'y a pas de quoi se plaindre. Le respect est partout présent dans tous les rouages de cette société policée. Le travail existe, à volonté, pour ceux qui se donnent la peine de se lever de bonne heure. Enfin la justice, la vraie, est un fondement essentiel sur lequel est basé leur pouvoir.
– Mais enfin, pourquoi alors ce revirement imprévu, pourquoi veux-tu reprendre le chemin de la misère, le chemin de la discorde, selon ce que tu me disais au départ, lors de notre première rencontre ?
– Je vais te raconter pourquoi je reviens sur ma décision. Je veux te dire que le sujet est tellement important que je ne veux pas rester silencieuse, comme d'autres exilés (es), devant une tragédie qui se poursuit dans le temps, sans que nous fassions quelque chose pour la juguler, ou à tout le moins pour l'atténuer. Je parle, en effet, à ceux qui la ressentent. Les autres, dans leur regrettable inconscience, ne peuvent connaître ce que veut dire chercher désespérément son chemin pour revenir à la vie. Alors, forte de mon expérience dans ce monde des animaux, je veux rétablir le lien avec la notion de travail et de sacrifice, dans ma jungle qui nécessite une sincère et profonde adhésion de tous. Convaincu par cet autre dialogue, subtil, engagé et dépouillé de passion et de complaisance, j'adhère pleinement à son projet et décide de la prendre en charge comme la première fois. C'est alors que d'un geste aussi auguste que respectueux, je la prends et je la mets dans cette boîte d'allumettes pour refaire avec moi le trajet du retour. Toute contente d'avoir réussi à me convaincre, elle me dit d'un ton serein, plein d'assurance :
– Je vais te raconter tout ce que j'ai vu, sans rien omettre, ni les bonnes choses, ni les mauvaises, ni ce sentiment d'être témoin de grands moments d'humanité, dans cette bienveillante générosité d'un régime transparent, responsable, et au-dessus de toutes les incertitudes. Prends patience, comme la première fois, lorsque tu as eu la gentillesse de me faire voyager et de m'écouter patiemment. Je te tiendrai compagnie et te dirai les raisons de cette envie folle de rentrer chez moi, dans ma jungle, le plus tôt possible.
Le retour au bercail
L'avion prend son envol. La mouche commence son autre histoire, parsemée d'autres petites aventures aussi importantes et passionnantes les unes que les autres. Quant à moi, n'ayant rien à faire, mais très intéressé par ce nouvel épisode qui raconte une tranche de sa vie, de la nôtre en réalité, je l'écoute attentivement. Elle me raconte un morceau de bravoure remarquable dans son style le plus percutant. Je la suis encore, avec beaucoup d'attention et de patience. Très attachante, la petite bestiole, me suis-je encore avoué ! Sur un air détendu, j'accorde comme Buffon, volonté, sensibilité et bien sûr langage à cette admirable mouche qui s'accroche mordicus à un être humain qui accepte d'échanger un dialogue avec elle. Avec la délicatesse des enchaînements, la subtilité des métaphores et l'alternance des périodes, j'arrive à la comprendre sur tous les tableaux. Elle est sublime dans sa narration. Elle ne me laisse aucun répit parce qu'elle doit tout me raconter et me convaincre en justifiant sa décision, celle de retourner dans sa jungle. Je suis conscient que quelque chose doit arriver. C'est-à-dire, que je vais apprendre encore davantage de cette mouche aux impulsions habiles et de plus... raisonnables. Ainsi, sans m'en rendre compte, je me laisse emporter dans la spirale de son jeu. Les informations me viennent comme une déferlante qui me submerge... Et la petite bestiole, dans ses élans irrésistibles, m'incite, à l'écoute attentive de son récit, à donner des formes, voire des silhouettes à ses personnages et à cerner leur imagination à travers un itinéraire fait de volonté, de confiance et d'espérance. Ce n'est pas tellement dur pour moi car je m'apprête, dès lors que je prends la résolution de l'écouter soigneusement, à la suivre dans toutes ses pérégrinations et lui montrer mon respect pour son action ô combien persévérante et bénéfique pour ceux qui se donnent la peine de la suivre et de prendre conscience de cette belle image de fidélité et de reconnaissance. Elle commence par me convaincre que rester en dehors de chez soi, loin de sa jungle, est un acte inconcevable pour celui ou celle qui ne peut en aucun cas renier ses origines. Cet élan de patriotisme, d'autres peut-être diront de chauvinisme, tinte dans ma tête comme un rappel à l'ordre. Derrière, s'insinue la valeur de l'effort que la mouche sait m'expliquer avec ferveur et enthousiasme. La mouche est pétulante et bien intentionnée pour raconter son passage du pays des merveilles à celui du désenchantement. Elle cherche sa place dans la société d'outre jungle... Elle se donne beaucoup de mal pour bien faire aux yeux de ses pairs... Elle finit par assumer les obligations qui privilégient le sérieux et le rendement. De là, elle commence par jouir de promotions, dignes récompenses pour des services rendus. Mais voilà qu'après de grandes satisfactions, s'installe le désenchantement. Elle ne supporte plus ce monde qui ne lui appartient pas, ce monde où elle entretient l'illusion d'un attachement, peut-être affectif, alors qu'elle peut faire la même chose chez elle, sinon mieux, pour changer le sien, se dit-elle dans le plus profond d'elle-même... Nous verrons cela tout de suite. En effet, elle entame, sur le chemin du retour, cet autre tête-à-tête avec moi, avec une remarquable histoire qui va dévoiler son inclination vers plus de sérénité et donc plus d'espoir pour l'avenir de sa jungle. – «Comment ne pas décider de revenir chez moi alors que tout me pousse vers un autre destin, autrement plus radieux, si je me donne la peine de le prendre en charge sérieusement, consciemment ? Ce n'est pas plus un projet d'idéal personnel qu'un projet d'un futur d'espoir où nous devons ensemble adhérer à sa réussite», me dit-elle avec une conviction telle que je m'interdis de la contrarier par d'autres questions. Elle est volubile, encore une fois... ma mouche !
– Tu sais, poursuit-elle... et elle se lance dans le commentaire. Elle parle longuement avec un profond désir de me convaincre, comme si elle avait peur que je risquais d'être un peu réticent à sa vérité. Quand je suis arrivée, là où tu sais, j'ai cherché un endroit où me caser. Je n'ai pas fait de grands efforts parce que la région pullule d'animaux sympathiques et attentionnés. Aussitôt, je trouve un merveilleux cheval, un beau pur sang, comme on en trouve dans notre jungle avec, malheureusement, l'ingéniosité en moins. Je m'installe sur sa tempe, un bel endroit d'où je peux tout voir, tout entendre, tout suivre. Le cheval m'accepte volontiers dès le premier contact. Il ne me demande même pas d'où est-ce que je viens. Je suis son invitée pour longtemps, un point c'est tout. C'est dire que dans cette jungle accueillante il n'y a pas de régionalisme, de favoritisme, de «junglisme», traduire par «douarisme», une expression bien de chez vous, les humains. Tu me posais la question, avant que nous prenions l'avion, sur les raisons de mon retour. Voilà, je vais te répondre concrètement, par des faits vécus. Ainsi donc, je pars tous les matins avec mon cheval au travail. Il besogne dans une entreprise de sellerie-bourrellerie. Bien sûr, c'est un job qui lui va comme un gant, pardon comme un sabot. Il est responsable d'une grande machine qui lui donne la satisfaction de terminer sa journée avec un bon rendement. J'ai beaucoup appris avec lui, malgré le bruit des appareils qui tournent du matin au soir et le va-et-vient d'une multitude de chevaux qui s'appliquent et se pressent pour se montrer toujours au niveau de la confiance qui leur est faite par leurs responsables. Le soir, en revenant à l'écurie, je ne me sentais pas fatiguée, comme je n'étais pas déçue de voir toujours le même rythme, dans une usine où chacun fait de son mieux pour être à la hauteur de sa tâche. Dans cette entreprise, chaque instant appelle au travail et à la compétition. Ah, au fait, je ne t'ai pas dit une chose intéressante et très importante dans cette jungle qui a rompu avec ce quotidien sobre et insipide. Voilà, avant de rentrer en fin de journée à notre gîte, nous passons obligatoirement par une sorte de grande école où mon cheval prend des cours du soir. Plus de deux heures, dans ce sanctuaire du savoir, en train de parfaire son niveau et d'apprendre de nouvelles techniques pour être plus instruit et plus performant. J'adhérais à cette ambiance qui ne se trouve aucunement chez nous, dans notre jungle qui vit de désœuvrement et de passivité. Je te demande pardon, parce que chaque fois que je parle de ma jungle, ces qualificatifs non flatteurs surgissent d'eux-mêmes tellement la comparaison, entre ce que j'ai vu ailleurs et ce qui existe chez moi, me pousse vers des contrastes flagrants et des résultats qui ne méritent même pas de débat. Alors, je dis que là où le monde change pour évoluer dans le bon sens, chez nous, les vices et les tares que nous traînons, ne nous aident guère à nous assurer une place convenable dans le barème du sérieux et du labeur.
Nous sommes en proie de devenir des êtres malfaisants après avoir été des gens honnêtes. C'est-à-dire que mes critiques ne sont pas basées sur la haine et le mépris de soi, loin s'en faut, je dis que lorsqu'on appartient à une grande jungle, comme la nôtre, «on se doit de la critiquer pour la rendre encore plus remarquable». Enfin, je ferme la parenthèse pour revenir à l'histoire que je racontais... Mon cheval est donc inscrit à l'université du soir. Ailleurs, dans votre monde, vous désignez ces lieux du savoir du nom «d'Universités populaires». Est-ce peut-être à cause des efforts qu'elles font en acceptant tous les postulants pour les sciences et la culture ? Certainement. En tout cas mon cheval est content de fréquenter ces lieux, tous les soirs après l'atelier, pour un autre travail studieux et bénéfique à son niveau culturel. Je me trouve en bonne place et je profite de tous les cours qui me donnent plus de motivation pour aller de l'avant. C'est pour moi une émulation sans cesse renouvelée, toutes les fois que je rentre avec lui, collée à sa tempe, dans cet amphithéâtre du bonheur. Oui, je dis du bonheur, parce que mon compagnon éprouve une sensation indéfinie, quand il est là, dans cet endroit qui baigne dans le savoir. On dirait qu'il n'attend que cette occasion pour manifester son enthousiasme. Moi aussi, j'apprends avec lui cet engouement pour les études. J'aime sa façon de faire, en alliant le travail quotidien aux études qu'il dit indispensables pour sa promotion, mais aussi pour son équilibre. J'apprends énormément de choses, en un laps de temps très court. J'apprends par exemple que dans cette jungle personne ne peut se vanter d'être heureux s'il ne travaille pas d'arrache-pied et ne produit pas le fruit de son bien-être. J'apprends également que nul ne peut se vanter d'avoir réussi s'il n'offre pas en contrepartie les efforts demandés, et s'il ne met pas dans la balance son intelligence et son imagination comme une rançon incontournable pour gagner sa prospérité. J'apprends enfin que les raisons qui ont fait que je parte pour un exil sans retour ne sont en réalité que le résultat d'une induction qui nous décrit comme des animaux allergiques au labeur et n'aimant pas tellement les efforts et les rendements qui sont produits après des quantités de sueur. Tout cela n'a pas sa raison d'être dans la jungle qui m'a accueillie. «Ragda ou t'manger», (c'est-à-dire manger en dormant ou manger sans fournir d'effort), ce slogan négatif élaboré dans un charabia typique de chez nous, n'est pas de mise ailleurs, chez ceux qui existent pour produire et vivre dans le développement. Ainsi le cheval, dont je suis devenue l'amie inséparable, travaille comme un titan – l'expression est de chez vous – pour réussir sa carrière professionnelle et agrémenter sa vie. Du matin au soir, il ne s'arrête pas. Il bosse dur, il va au-delà de ses limites, avec toute son ardeur et sa patience. Il ne connaît pas de répit. Aussi, c'est à partir de longues heures passées devant la machine et à l'université du soir qu'il acquiert de l'expérience et améliore son niveau intellectuel et professionnel. Et l'essentiel de cet engagement dans la vie de tous les jours est d'arriver à bon port. C'est là le but de son combat, parce qu'en effet c'en est un.
(A suivre)


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