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La recherche d'une vérité sur certains épisodes de la colonisation (XVIII)
Lettre à René
Publié dans La Nouvelle République le 02 - 11 - 2021

À son ami René, mais en fait aux générations montantes, Kamel Bouchama rappelle ce qu'entraîna l'acte odieux adopté par le parlement français en janvier 1830. Hélas, cinq mois après, les hordes colonialistes, commandées par de Bourmont, débarquaient sur la presqu'île de Sidi Fredj, amenant ainsi l'Algérie à engager une lutte incessante pour son indépendance... L'avenir, dit l'auteur de «Lettre à René» en filigrane, appartient aux peuples qui le construisent ensemble, une fois soustraites les lourdeurs du passé. Là, où notre vieille garde militante n'a pas cru bon devoir consigner son témoignage, ce livre vient au bon moment. Il devrait de ce fait, être mis entre les mains de tous les jeunes.
Mon père ne travaillait pas. Il venait de sortir de prison et sa santé déclinait, malgré son jeune âge. Les tortures et les souffrances de tant d'années d'incarcération et de privation avaient eu raison de sa force et de sa volonté. Et quand bien même il aurait voulu travailler, parce qu'il avait un très bon niveau d'instruction – un Brevet élémentaire de 1935 – et parce que surtout on avait besoin d'argent à la maison, on ne pouvait l'accepter nulle part à cause de ses antécédents politiques. Plusieurs tentatives, sans succès, lui avaient montré à quel point l'acharnement était tenace et la haine de l'Arabe et du militant encore plus forte.
Mon père milita très jeune dans le mouvement national auprès de grands responsables qui avaient fait parler d'eux pendant la lutte pour l'indépendance. Il commença son parcours dans les rangs du scoutisme en étant parmi les créateurs du mouvement dans notre région, ce qui lui permit de côtoyer les grands chefs et de militer avec eux dans le Parti du Peuple Algérien (PPA) et ensuite dans le MTLD. Cette activité politique le conduisit vers le concret, c'est-à-dire vers le véritable travail d'organisation et de préparation pour la libération du pays. Evidemment, je ne vais pas entrer dans les détails, car là n'est pas l'essentiel de mon récit, je vais tout simplement te narrer les conséquences de ce militantisme et la réaction plus que rébarbative de ceux-là mêmes qui nous donnent des leçons et qui positivent, à travers un texte rédigé, arbitrairement ou inconsciemment, leurs antipathies, leurs abus et leurs outrances contre notre peuple..., dans notre pays. Mon père avait été arrêté, bien avant les événements du 8 mai 1945. Il avait été arrêté en novembre 1944, dix années avant ce «glorieux Novembre». Etait-ce de la prémonition ? C'est dire qu'il fut parmi ces premiers nationalistes qui croyaient en cette révolution, qui vivaient ses préludes et qui attendaient impatiemment la mise à feu de cette «bombe» qui allait nous mener vers le vaste programme de décolonisation. J'avais à peine deux mois quand les forces de l'ordre – on les appelait ainsi –, précédées d'inspecteurs de la police judiciaire, firent irruption chez nous, à la maison, pour arrêter mon père, ce danger public et célèbre «criminel» ? Un grand branle-bas de combat auquel je ne comprenais rien, puisque je n'étais pas en âge de saisir le pourquoi de cette brutalité qui m'effrayait et me faisait pleurer à chaudes larmes, d'après ce que me racontera ma mère, plus tard. Elle me disait aussi qu'il avait eu sa part de coups, d'insultes et de violentes invectives, dans la chambre même où je me trouvais. Il les encaissait, courageusement, sans manifester le moindre signe de souffrance. Peut-être pensait-il dans son esprit que je sentais ce qui lui arrivait et qu'en restant stoïque il atténuerait ma peur et ma crain-te ? C'était le père qui réagissait, celui qui se faisait tabasser par des hommes comme lui, devant sa progéniture ! La chambre fut mise sens dessus dessous. Les soldats intimèrent l'ordre à ma mère de ne rien dire et de rester dans son coin, bien tranquille..., sinon elle aussi passerait un mauvais quart d'heure, dans un interrogatoire musclé. Elle y serait passée par les coups, les insultes et les crachats, n'eût été cet inspecteur algérien, dans le groupe, qui implora ses collègues d'arrêter ce supplice et ces humiliations, de quitter la chambre et de le laisser seul avec mes parents, peut-être que lui saurait faire parler mon père. Il argua les traditions arabes et leur respect de la famille dans des cas pareils. Les soldats et policiers quittèrent la chambre. Seul l'inspecteur algérien devait rester pour faire son boulot avec zèle, leur avait-il laissé entendre. Pour eux, il devait «cuisiner» mon père à sa façon. Une fois seul avec mes parents, il s'adressa à eux en arabe, ce qui devait les étonner parce que son physique ne le «rangeait» pas parmi les gens de notre race. Il déclina son identité, ce qui étonna de plus en plus mon père.
Oui, je suis untel, disait-il avec bienveillance.
– Et Abdelkader B..., est-il de ta famille ?
– C'est mon frère, répondit mon père.
– C'n'est pas possible !!! s'exclama l'inspecteur, tout étonné, en même temps que rassuré. Vite, donne-moi ce que tu as comme documents qui peuvent te compromettre ! Il insista tellement sur les documents, en voyant mon père se rétracter, qu'il lui fit, pour le mettre en confiance, des révélations sur ses bonnes relations avec mon oncle qu'il avait connu pendant le service militaire. «C'est de là, rassura-t-il mon père, que nous sommes devenus de grands amis.» Mon père s'exécuta sans rechigner, il avait compris le message..., un message limpide, clair, de cet Algérien digne qui, à l'heure de la vérité, sait choisir son camp. Il sortit du fond d'un coffre en bois, ce fameux coffre traditionnel qui était là, comme dans toutes les maisons arabes, une enveloppe bien épaisse. Et, toujours au comble de sa surprise, mon père vit l'inspecteur se saisir rapidement des documents, les feuilleter furtivement, mesurer le danger et les tendre à ma mère en lui intimant l'ordre de les mettre, immédiatement, sous ma couche. J'étais alors dans mon berceau. Puis il se retourna vers mon père et lui dit : – «Tu n'as pas un petit emblème, toi qui est responsable des scouts, un poignard, une boussole..., n'importe quoi qu'ils puissent se mettre sous la dent et qui puisse les calmer, sans te causer beaucoup de préjudices ?».
Franchement, il ne pensait pas bien dire. C'est alors que mon père ouvrit machinalement l'armoire, plongea sa main sous le linge et en retira la boussole et le poignard qui l'accompagnaient toujours durant ses agréables randonnées dans les monts du Dahra, avec ses patrouilles de guides et de louveteaux. L'inspecteur avertit ma mère de ne rien dire sur les documents qu'elle avait mis sous ma couche. Il lui intima l'ordre d'en faire bon usage et de les remettre «là où il fallait», aux gens qu'il fallait. Là, il s'écarta un peu, laissant mon père chuchoter à ma mère ce qu'elle devait faire certainement après le départ de cette armada de soldats et de policiers. Il avait compris qu'il devait les aider à se débarrasser de cette lourde charge. Puis il ouvrit la porte de la chambre et appela ses collègues pour leur montrer le butin de guerre, la boussole et le poignard... Au moment où ils lui mettaient les menottes, me racontera ma mère plus tard, mon père tourna sa tête vers moi et me regarda fixement. Pour une dernière fois, peut-être ? Parce que dans des situations pareilles, rares étaient ceux qui revenaient, un jour, chez eux. De plus, mon père connaissait bien son dossier..., même si les documents qui l'accablaient se trouvaient, bien au chaud, en secret, sous ma couche. Il savait que ceux qui l'avaient «balancé» avaient tout dit là où il fallait et dans le style qu'il fallait. Ses larmes coulèrent abondamment, ma mère se figea dans son coin. Elle ne sut si elle devait crier, hurler..., en tout cas, elle resta de marbre. Mon père fut emmené «sous bonne escorte», laissant ma mère seule avec un bébé sur les bras. Je pleurais encore davantage, me dira-t-elle, en me racontant, des années plus tard, cette sauvage incursion. Je m'arrête là, René, dans un souci d'économie. Parce que je ne vais pas te raconter toute l'histoire de cette arrestation. Ce que je peux te dire, tout simplement, c'est que sa condamnation, lourde, très lourde, ne fut pas prononcée conséquemment aux seuls chefs d'inculpation invoqués au départ, mais pour d'autres raisons plus politiques et certainement plus graves. Sa condamnation fut fomentée dans le cadre d'un complot contre l'Etat français... Ainsi, il fut condamné par un tribunal militaire, comme tous ceux qui étaient appréhendés dans son cas, pour «atteinte à la sécurité intérieure et extérieure de l'Etat», après avoir subi d'atroces tortures et goûté aux pires humiliations. Et si, d'aventure, il n'y avait pas eu cet inspecteur algérien qui avait atténué quelque peu le danger, que se serait-il passé pour la condamnation de mon père ? La peine capitale, c'est sûr ! De toute façon, au vu des délibérations et du verdict, il s'était passé exactement ce que les généraux avaient voulu qu'il se passât. N'est-ce pas l'école française qui nous a appris cette fameuse fable de Jean de La Fontaine : «Le loup et l'agneau» ? Mon père était resté longtemps en prison. Il avait fait la plus dure, la plus pénible à cause du climat de la région. Il était incarcéré à Lambèse, ce pénitencier situé au pied des Aurès, et que d'aucuns gardent de très mauvais souvenirs pour le traitement qu'ils ont subi. Les temps aussi étaient durs. La Seconde Guerre mondiale n'aidait pas les gens à s'entendre et à être cléments envers ceux qui souffraient, notamment envers les détenus politiques. A sa sortie de prison, mon père ne pouvait travailler, car il était «fiché» partout, chez la police, les différentes administrations et même chez les privés qui détenaient des négoces ou des cabinets d'affaires. Une fin de non-recevoir là où il se présentait pour chercher du boulot. La vie était très dure pour nous et pour moi principalement qui ne pouvais aspirer à certaines choses, même les plus simples, les plus accessibles à tous les enfants de mon âge.
René, mon ami,
Vois-tu, je pense qu'avec cette histoire, tu seras encore plus convaincu que ta position prise, en tant que député, dans cet hémicycle vertueux où s'exerce la démocratie, est juste, voire des plus justes, du fait qu'elle ne juge pas la présence de cette armée, dite de «pacification», comme une présence nécessaire et positive. Sois-en sûr, elle est juste, parce qu'hier je ne trouvais pas quoi manger, pendant que tu te régalais de bonnes choses que te préparaient affectueusement tes parents. Mon ami, René, au moins toi, avec qui j'ai eu un certain parcours, de la classe maternelle, à la classe d'initiation, même plus, au cours moyen..., tu n'auras pas de remords après ce récit, et d'autres qui vont venir, car tu ne t'es jamais évertué à soutenir des actions d'une extraordinaire brutalité, d'une rare cruauté. En effet, je sens en toi que devant des provocations pareilles, tu voyageais dans le passé pour t'imaginer, dans un esprit magnanime et de repentance, comment pouvais-tu dormir au chaud avec tes parents, alors que moi, je grandissais sans connaître mon père. Tu devais également penser comment fêtais-tu tes anniversaires, avec tes copains, autour de ce succulent gâteau, alors que moi, je ne pouvais me permettre de sortir, de m'amuser ou de recevoir mes amis, parce que nous n'avions pas les moyens de les recevoir et que nous étions constamment surveillés. En effet, je sens en toi ces nobles sentiments du Français dont la foi lui fait remettre en question les fondements du système colonial. Il y avait d'autres, comme toi, des autres courageux dans le propos et l'action, qui ont désapprouvé publiquement, en pleine révolution, des actes commis contre les Algériens. Je te donne l'exemple de notre amie Annie Steiner qui a, non seulement refusé cette différence entre les deux communautés, mais aussi qui a combattu énergiquement, puisque militante active pour l'indépendance de notre pays. D'ailleurs, elle a connu les prisons coloniales d'Alger et de France, comme ses congénères qui s'étaient soulevées contre l'injustice et l'oppression. Annie Steiner disait dans ses écrits : «Je me posais des questions, pourquoi étais-je bien habillée et eux en haillons, pieds nus avec ces mouches dans les yeux ? Des enfants d'Alger venaient souvent sonner à ma porte pour vendre des œufs. On se regardait. On ne se parlait pas. C'était de tout petits mômes. Ils étaient en haillons, la misère noire...». René, mon aimable et sympathique ami, je te considère ainsi – parce que je n'ai aucun sentiment de haine à ton égard –peux-tu me croire, toi qui ne voulais soutenir l'insoutenable, que je n'ai vu mon père pour la première fois qu'à l'âge de cinq ans, quand il est revenu de prison, ayant bénéficié d'une remise de peine, quelques années après les massacres de mai 45, alors que toi, tu as grandi dans l'affection de tes parents ? Oui, tu as grandi dans l'aisance et l'abondance de cette terre généreuse qui m'appartenait, bon sang, mais de laquelle je n'en tirais aucun profit, parce que tout vous appartenait ! Mon cher ami, – et tu le demeures, car tu fais partie de mon enfance, de mes illusions, de mon Histoire, de ma mémoire –, peux-tu mesurer le mal qui allait être commis par tes collègues, les nostalgiques de «l'Algérie française» quand ils insistaient pour nous provoquer et, du même coup, réveiller en nous ces mauvais souvenirs que nous voulons absolument effacer de notre esprit ? Effectivement, de mauvais souvenirs et je peux en citer quelques-uns qui leur feront toucher du doigt cette différence que nous vivions au moment où il était indispensable, pour des mômes comme nous, de connaître cette égalité des chances et de vivre notre enfance, dans le respect des lois, largement expliquées dans la Charte des Nations unies.
(A suivre)


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