Le mouvement populaire et ses incidences, en aval, ne peuvent que constituer une base de départ pour la création d'une société plus juste, si le terme s'y prête. En effet, l'occasion est tentante et ne s'offre qu'une fois toutes les trois générations pour ne pas s'accrocher à cette idée, jugée «incongrue» dans la réalité de certains cercles proches du pouvoir décisionnel. Les Algériens se trouvent en face d'une opportunité unique de changer les choses en profondeur et depuis le 22 février les marcheurs ont ébranlé les certitudes établies et, à travers leur mobilisation hebdomadaire, ont fait chuter l'une des représentations physiques de ce système. Pourtant, l'après-Bouteflika se heurte à l'incapacité populaire, prouvée ou prêtée, de présenter une alternative politique au pouvoir en place, une brèche récupérée par l'autre tranchée pour discréditer le hirak, lui reprochant l'absence de représentativité en dehors des millions de paires de jambes du vendredi. Cette incapacité chronique à trouver des figures consensuelles de la révolution en marche a été consciencieusement mise à profit par les adversaires du hirak pour lui dénier le droit de parler au nom de la majorité. Certes, des noms et des profils ont été suggérés, cooptés et encouragés pour être la voix de cette majorité, mais le caractère même de l'acte de naissance de ce mouvement, ne répondant à aucune injonction aussi partisane que symbolique, ne s'y prêtait guère. D'où l'impératif de changer de stratégie d'approche et de marketing pour s'inscrire dans la durée et répondre au cahier des charges du pragmatisme politique. Si la désignation d'une ou des personnes pour encadrer le mouvement ne répond pas à des exigences de neutralité et de diversité exigées et attendues par le peuple, il existe toujours des voies pour instaurer le débat démocratique et inviter à la réflexion populaire pour sortir de la crise. Si les exigences de base sont connues, avec le départ du système dans sa globalité, les Algériens sont dans une phase de régénérescence intellectuelle, essayant de réinventer le débat politique à travers des rencontres citoyennes qui peuvent facilement être assimilées aux halqas et autres agoras des temps anciens, à même de débusquer des pistes intéressantes d'idées pouvant tracer la voie à des solutions combinées. Au-delà de l'aspect révolutionnaire et patriotique, on est encore à échelle humaine de la pensée, un niveau encourageant pour investir des champs de réflexion aussi proches de nous qu'accessibles pour cette majorité qui se cherche.
