Le Général Gaid Salah est de ceux sur lesquels on ne veut pas é11parler longtemps pour ne dire que l'essentiel. Je suis certainement comme l'immense majorité des Algériens. Nous mesurons à présent mieux sa place, son rôle maintenant qu'il a disparu. Le contexte dans lequel il part donne toute sa grandeur, toute son ampleur dramatique à sa disparition, non pas le drame au sens de la tragédie, mais le drame au sens du récit historique. C'est la mort qui transforme la vie d'un homme en destin. Le timing semble, en effet, incroyable.Il disparaît au moment même où il a terminé sa mission. L'Histoire jugera, mais ce qu'il a fait, il l'a accompli en militaire d'honneur, en général républicain. « Pas une goutte de sang du peuple algérien ne sera versé », avait-il dit. Il a tenu parole. Ceci est très rare dans l'Histoire des crises politiques et sociales de cette ampleur.Il laisse la maison en ordre, l'Algérie avec un président. Cet objectif, il se l'était donné de façon opiniâtre, tenace. Son mot préféré, dans ses discours était « la constance ». Il a agi sans dévier un instant de sa feuille de route, au prix d'un effort surhumain, allant jusqu'au bout de ses forces, sans une plainte, sur tous les fronts pendant des mois, s'adressant sans arrêt à la nation, à l'armée, veillant à l'unité de celle-ci, et de sa fraternité avec son peuple, épargnant au pays le pire des malheurs, la «Fitna», la guerre civile. S'il n'avait fait que cela, il mériterait déjà notre reconnaissance, notre affection, quelles que soient les divergences, ici et là, sur sa politique. Il y avait, aussi, tout le travail qu'il continuait de mener de front pour doter l'Algérie d'une armée moderne, professionnelle, attachée aux idéaux de Novembre, comme il le disait sans arrêt. Maintenant qu'il a disparu, tous ses actes prennent rétrospectivement un sens: tout d'abord sa vision d'une armée républicaine qu'il voulait enraciner pour l'avenir. Beaucoup lui ont reproché de n'avoir pas destitué le Président Bouteflika pendant le quatrième mandat. On comprend mieux aujourd'hui qu'il s'est toujours refusé à n'être qu'un banal général putschiste et que, pour lui, c'était au peuple d'intervenir, comme cela a été le cas, alors, avec le «Hirak». La décision prise par l'armée d'accompagner le mouvement populaire va dans le même sens et est déterminante. Celle aussi intransigeante d'une solution constitutionnelle à la crise. Puis la suite de décisions prises: la commission de dialogue, l'autorité indépendante des élections, et enfin la fixation de la date de celles-ci. La décision surprend tout le monde, semble difficilement réalisable pour beaucoup, il est la cible personnelle d'une campagne d'une grande violence mais il garde son calme. Une partie de l'Algérie profonde lui manifeste son soutien. En réalité, il fait bouger les lignes: en stratège militaire, il crée une dynamique et les faits lui donnent raison. L'élection présidentielle a eu lieu. On peut penser beaucoup de choses mais elle est indéniablement une étape nouvelle dans l'évolution de la crise. Le général Gaid Salah salue alors la nation. Lorsque le nouveau président le décore, il fait un dernier sourire, l'un de ses rares sourires, un sourire heureux. Et il quitte la scène. Le reste de l'Histoire c'est à nous de l'écrire, nous tous, fraternellement.