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«Sidi Ahmed», l'homme qui a changé le cours de la guerre
Publié dans El Watan le 10 - 12 - 2014

Zighoud Youssef. Tous ses compagnons de lutte disent «Si Ahmed» ou «Sidi Ahmed» avec de la dévotion dans la voix, et aujourd'hui encore la fascination qu'il exerçait demeure intacte chez ceux qui avaient milité, combattu sous ses ordres et cette relation, à bien y regarder exceptionnelle — la retrouve-t-on sans doute seulement chez les comptenteurs de «Si Mabrouk » Boussouf — témoigne contre le relatif anonymat auquel l'indépendance le contraint objectivement.
1- Le fils du peuple
Certes, son village natal, Condé Smendou, porte son nom et s'il n'aura pas manqué d'hommages officiels l'ont-ils plus assigné comme l'homme de guerre au chapeau de brousse, confortant l'imaginaire guerrier longtemps socle des représentations institutionnelles de la guerre d'indépendance que contribue à restituer un itinéraire militant exemplaire de la montée en puissance du nationalisme algérien.
De la même façon, l'assignation, tout à fait conformiste, d'une grande partie du discours historique français au statut de «forgeron de Condé Smendou» procède au mieux de la paresse intellectuelle sinon à une forme de mépris non seulement de l'homme, mais aussi de tous les mouvements qui travaillaient alors, en profondeur, la société algérienne dominée. Ainsi faudra-t-il relire ces mouvements à l'aune des mobilités subies, de leurs charges de déracinement, de regroupements aléatoires à l'image, entre autres, de la famille Zighoud, issue du Nord constantinois et qui s'établit à Condé Smendou où naît Youssef en février 1921.
Youssef naît orphelin, puisque son père Saïd Ben Ahmed décède avant le terme de la grossesse de la maman Amina, dans une famille marquée par la précarité à laquelle pouvait rajouter une manière d'instabilité liée aux remariages de la mère. Ces difficultés ne découragent pas le jeune Youssef, élève studieux de l'école coranique et par la suite auteur d'un remarquable cursus scolaire au sein de l'école française du village couronné par l'obtention du certificat des études primaires à l'âge de quatorze ans.
Ses proches évoquent volontiers un adolescent curieux, avide de savoirs, aimant lire — les grands romans comme Les misérables — et que l'on voyait aussi, à Constantine, du côté des cinémas populaires de la ville.
2- L'ascension d'un leader
Comme beaucoup de militants de sa génération — à l'image, par exemple, des Constantinois Smaïn Zighed ou Messaoud Boudjeriou —, le scoutisme musulman lui offre le premier cadre de socialisation politique et il assurera, par la suite, la direction de la section locale de l'organisation.
Il faut noter cette ascension comme un indicateur précieux de la qualité de l'engagement de Zighoud et de sa précoce maturité qui le conduira suffisamment tôt — il avait alors dix-huit ans — à intégrer les rangs du Parti du peuple algérien (PPA). Zighoud est aussi contraint à travailler pour aider sa famille et il trouve effectivement place dans la forge du village de M. Bernel auquel il finira par s'associer et le constat est que la formation de l'homme dédouble celle du militant, attaché par ses racines et ses choix aux intérêts de son peuple.
Dans cette société villageoise de Condé Smendou, Zighoud Youssef, porté à la tête du PPA local, renouvelle la figure des élites jusque-là rapportées à la grande ville voisine et construit un leadership qui non seulement n'allait pas se démentir, mais qui plus est s'élargira bien au-delà du village et de la région.
1947 constitue un moment décisif dans l'itinéraire militant de Zighoud qui, d'une part, allait porter les couleurs de son parti le MTLD, vitrine légaliste du PPA, lors des élections municipales — il sera élu en qualité d'adjoint au maire — et devait rejoindre les rangs de l'Organisation spéciale dont la création avait été décidée au congrès de février 1947. Et il avait alors vingt-six ans.
A Smendou, il organise l'OS, initie au maniement des armes. La vie de Zighoud bascule lors de la crise dite de l'OS en 1950 — la découverte et le démantèlement par les services de police français de l'organisation clandestine — et il est arrêté et enfermé à la prison de Annaba.
Après l'échec d'une première tentative d'évasion, Zighoud met à profit ses talents de forgeron pour confectionner, à partir d'un ouvre-boîte métallique, un jeu de clés qui allait lui ouvrir les portes de la prison ainsi qu'à trois de ses compagnons, Mostefa Benaouada, Abdelbaki Bakhouche et Slimane Barkat.
Il est remarquable que l'opération ait pu s'organiser dans le plus rigoureux secret et traduit précisément l'aptitude de Zighoud non pas tant au commandement mais au refus de la résignation et à faire face aux difficultés.
3- Au cœur de la lutte
Il retrouvera, dans les Aurès, d'autres compagnons de l'Organisation, contraints à une dure clandestinité et sera associé aux premières entreprises de mise en place d'une alternative politique à la fois à la crise du Parti mais aussi à la domination coloniale. Sa présence à la réunion des vingt-deux n'est ainsi pas le fait du hasard mais sanctionne un engagement de longue date, déterminé, fut-il exprimé dans la retenue qui demeure l'un des traits de Zighoud.
Dans la région, à Constantine précisément, la situation au lendemain de la rencontre de Clos Salembier n'est pas facile. Aux affrontements de l'été entre centralistes et messalistes allaient s'ajouter les réserves des militants constantinois, notamment ceux qui avaient pris part à l'historique réunion.
Zighoud ne prend pas part — semble-t-il sur instruction de Boudiaf — à la réunion qui se tient chez Youssef Haddad, Rue Bedeau et qui sera marquée par les échanges entre Abderrahmane Gherras, ancien chef de l'OS de l'arrondissement de Constantine, et Didouche Mourad, chef de la zone 2 du Nord constantinois. On sait que les contestataires constantinois ont tous rejoint le Front au lendemain du 1er Novembre, mais il est intéressant de relever que leurs réserves ne remettaient pas en cause le principe de l'insurrection mais plus les conditions politiques de direction du mouvement. Et parmi leurs demandes, l'intégration de Zighoud Youssef au sein du comité des six.
En cet automne 1954, il accompagne Didouche dans la mise en place des premières structures du FLN à Constantine en s'appuyant sur les jeunes «neutralistes», où l'on retrouve Smaïn Zighed, Messaoud Boudjeriou, Amor Tal'a, Ali Za'mouche, Mostefa Aouati, entre autres.
Le destin de Zighoud bascule de nouveau le 18 janvier 1955 du côté de Oued Boukarkar, où le groupe d'hommes que dirige Didouche Mourad se heurte à un commando de l'armée française. Il se dit que Zighoud aurait recommandé à son chef de zone le repli, mais Si Abdelkader aurait objecté qu'ils étaient là pour combattre l'ennemi.
Didouche meurt au combat — c'est le troisième dirigeant du groupe des «22» à tomber en martyr après Benabdelmalek Ramdane et Badji Mokhtar — et il revient à Zighoud d'assurer la responsabilité à la tête de la zone. Il est alors entouré de proches compagnons de l'OS comme Lakhdar Bentobbal, Mostefa Benaouda, et sur le registre de la retenue qui est le sien prend la mesure de la situation de la résistance.
4- Le stratège politique du 20 août 1955
Et cette situation, à l'orée du printemps 1955, est particulièrement délicate. Didouche est mort, Benboulaïd et Bitat ont été arrêtés, Boudiaf et Ben M'hidi sont à l'extérieur, et seul Krim demeure dans les maquis de la zone 3 soumis depuis novembre 1954 à l'état d'urgence. Les contacts sont compromis sinon coupés et Zighoud, qui a en tête l'urgence d'une rencontre des dirigeants du FLN, fait le choix inédit du retrait et de la méditation.
Zighoud s'isole du côté du douar Zamane, décante la situation et arrête sa stratégie. Il regroupe au mois de juin les cadres de la zone 2, les informe des termes de sa réflexion et des décisions auxquelles il avait abouti. «J'ai toujours appréhendé le jour où le destin de la Révolution reposerait sur mes épaules», leur confie-t-il avant de détailler les objectifs de ce qui allait prendre sens de tournant stratégique dans la guerre d'indépendance.
Au-delà des controverses et des tentatives de falsification des buts et des résultats de l'offensive du Nord constantinois du 20 août 1955 — il convient au moins de souligner que les historiens s'accordent sur le fait que la France entrait en guerre en Algérie au lendemain du 20 août — est-ce la conduite du dirigeant Zighoud qui mérite l'attention et le caractère éminemment politique de l'offensive.
Retenons d'abord l'affirmation des capacités du FLN/ALN de (re)prendre l'initiative et qui plus est en plein jour, la volonté de remobiliser l'opinion algérienne, de barrer la route aux partisans d'une troisième voie et subsidiairement de casser la collaboration avec les services français.
Est-il utile de rappeler l'ordre d'entée en guerre de la France, l'élargissement de l'état d'urgence à l'ensemble du pays, le rappel de contingents d'appelés, la mise en application du principe de la responsabilité collective, les premières esquisses de mobilisation de supplétifs algériens contre l'ALN, pour prendre la mesure du tournant historique du 20 août ? Ainsi donc, le FLN réputé isolé au sein de la société continuait d'exister, pouvait mobiliser et pouvait frapper. C'était là la leçon de Zighoud et à travers lui du nationalisme algérien.
Ce qui frappe en l'occurrence, c'est la lucidité de l'analyse que fait Zighoud de la situation de la résistance, sa capacité d'imaginer, d'organiser et de coordonner une multiplicité d'opérations en même temps et sur plus d'une trentaine de sites. Hors Krim, Zighoud est alors le seul dirigeant politique du FLN a donner sens, sur le terrain, aux objectifs fixés par la proclamation du 1er Novembre.
Un an, jour pour jour après le déclenchement de l'insurrection, un drame — celui des premières exécutions de compagnons de combat — allait se nouer à Taïraou, du côté du douar Beni Sbih, ou en marge d'une réunion d'évaluation dirigée par Zighoud, trois des cadres de la zone — Smaïn Zighed, Chérif Zadi, Saci Bakhouche — allaient être jugés sommairement et exécutés. Omar Tal'a, lui-même menacé à cette occasion, témoignera, plus tard, des regrets de Zighoud alors même que les raisons de ces éliminations demeurent relativement obscures, même si Abane a cru devoir se féliciter de la liquidation «d'agents de la DST».
5- L'homme de la Soummam
Rappeler aussi que Zighoud fut à l'origine des premières tentatives d'organisation d'un congrès des dirigeants du Front — Abdallah Bentobbal signale, à ce sujet, la lettre à Abane remise par Zighoud à Saâd Dahlab — un temps projeté dans la presqu'île de Collo. Zighoud forgeait-il ainsi l'histoire et le Congrès de la Soummam allait en donner une magistrale illustration.
Beaucoup a été dit et écrit sur la virulence des critiques de Abane au sujet des opérations du 20 août 1955 dans le Nord constantinois, et peu a été dit sur l'opposition claire et publique de Zighoud — et de ses compagnons — aux orientations défendues par Abane sur le principe de primauté de l'intérieur sur l'extérieur et du politique sur le militaire. Zighoud dit à Abane qu'au lieu de régler des problèmes, il allait en créer d'autres et ce n'est pas faire injure à l'exceptionnel dirigeant que fut Abane de noter qu'à sa différence Zighoud se présentait en dirigeant au congrès et sans parrains.
A ses compagnons qui s'étonnaient de le voir en fin de compte adouber la démarche de Abane, Zighoud fait la réponse suivante : «Nous avons besoin d'une direction centrale légitime quel que soit le prix à payer.» Est-ce vraiment un paradoxe que les dirigeants du Nord constantinois aient été actifs dans la défense des thèses de la Soummam — à l'image de Benaouada bataillant contre les entreprises de division dans la base de l'Est — ou de l'organisation d'élections de délégués du FLN en pleine campagne ?
Le 23 septembre 1956, au retour du congrès, Zighoud et ses hommes accrochent une formation de l'armée française au lieudit El Kherba, du côté de Sidi Mezghich. Zighoud tombe les armes à la main. Le témoignage d'un des soldats français ayant pris part à l'accrochage fait justice des rumeurs de trahison qui avaient aussi entouré la disparition du chef de la wilaya du Nord constantinois.
Le regretté anthropologue algérien, Mahfoud Bennoune, qui fut de 1955 à 1962 officier de liaison de la Wilaya II, évoque en ces termes la personnalité de Zighoud Youssef : «Un homme réfléchi, intelligent, sérieux, profondément engagé dans la cause nationale, bien organisé et surtout d'une extrême modestie.»
La question — iconoclaste ? — sera forcément posée de savoir si août 56 était imaginable sans août 55 et, au fond, la réponse importe moins que le fait de rendre justice à ces enfants du nationalisme qui, souvent des profondeurs des campagnes et des montagnes, ont réinventé l'Algérie.


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