Il y a comme l'amorce d'un réveil dans la multiplication des rencontres sur les langues, la culture, les identités, la mémoire, la communication… En cette période de l'année, féconde en matière de manifestations culturelles, les universités algériennes semblent vouloir relever les défis pour se mettre à l'air du temps. Si certaines se complaisent encore dans leur léthargie, nombreuses sont celles qui redoublent d'efforts et multiplient colloques, tables rondes et séminaires internationaux. Les thèmes divergent d'une contrée à l'autre. Blida et Sétif ont planché respectivement sur les problèmes de terminologie/lexicographie et de didactique des langues. A Guelma, en partenariat avec les universités de Biskra, Skikda et Oum El Bouaghi, les questions de l'employabilité et de l'insertion professionnelle étaient au menu. A Mostaganem, c'est l'acculturation dans la littérature coloniale et la problématique de l'information et de la communication qui ont retenu l'attention tandis qu'a eu lieu à Oran cette semaine la rencontre Philosophie et cinéma, organisée par l'université de cette ville et celle de Mostaganem. Un petit tour d'horizon sur quelques-unes des manifestations les plus récentes auxquelles nous avons assisté, peut donner un aperçu de ce regain et de l'intérêt pour le domaine culturel avant que ne s'estompe cette activité fébrile à l'approche des vacances, elles-mêmes rapprochées par la proximité de la Coupe du monde. Le colloque pluridisciplinaire et transversal « Langues, culture, interculturalité », organisé par l'Edolas (Ecole doctorale Langues et spécialité), à l'université de Sidi Bel Abbés, avait inscrit à son programme les trois constituants d'un volet fondamental du patrimoine culturel universel à travers la mise en place d'un dialogue des peuples, constituants dont la présence, la nécessité et la proximité leur confèrent le statut particulier de vases communicants, le contenu de l'un se déversant dans le contenu de l'autre. Pour les organisateurs, les professeurs, Kamel El Korso, Mohamed Miliani et Bahia Ouhibi-Ghassoul, « on ne saurait parler de langues sans évoquer le mot culture qui, à lui seul, renferme une somme de connaissances, tellement disparates, tellement hétéroclites, qu'il suscite tollé et polémiques, dès qu'il s'agit d'en tracer les contours ». De par leur dimension multiculturelle et multimodale, les langues ont toujours été appréhendées comme l'illustration emblématique de la communication humaine. Elles offrent la possibilité de voyager à travers les cultures et les communautés ; elles favorisent l'établissement de réseaux relationnels à travers les contacts et la découverte des autres ; elles offrent une certaine vision du monde et favorise une perception particulière de la réalité ; bref, elles sont la traduction de la pensée et de la culture et l'expression manifeste de l'interculturalité. A Sidi Bel Abbès, les nombreux spécialistes des diverses disciplines des sciences humaines et sociales, notamment ceux des sciences du langage, de l'analyse des discours, des sciences de l'information et de la communication, de la sociologie et de l'anthropologie ont eu la possibilité de s'investir dans un échange fructueux de points de vue, sur la dimension sociolinguistique, ethnoculturelle et spatio-temporelle du discours linguistique et paralinguistique. Mortes ou vivantes, les langues sont aujourd'hui au nombre de trois à quatre mille dans le monde. Malgré leur richesse, leur variété et la diversité des parlers en leurs seins, elles n'arrivent pas toujours à résoudre cette difficulté à « s'entendre » les unes les autres, difficulté ressentie également par les linguistes qui éprouvent du mal à les classer, à les étudier, à les regrouper par rapport à des sphères culturelles spécifiques, constitutives de la civilisation. Le colloque, auquel a pris part plus d'une centaine d'intervenants, venant de plusieurs universités algériennes et étrangères, aura, à tout le moins, permis d'esquisser une configuration des principaux concepts : la « langue » en tant que système de signes linguistiques (vocaux et graphiques) constituant l'instrument de communication par excellence. La culture (entendue au sens de « savoir-faire ») se traduit en activités soumises à des normes socialement et historiquement différenciées et à des modèles de comportements transmissibles par l'éducation. Enfin, l'interculturalité, par le biais d'un chassé-croisé permanent des systèmes linguistiques, accroît et valorise la spécificité des phénomènes socioculturels dans leur interaction. Apprendre une langue revient à investir une autre culture, à apprécier d'autres systèmes de valeurs et suppose l'acceptation d'autres normes, d'autres logiques que les siennes. C'est par la langue que naît le dialogue des cultures dans l'espace privilégié de l'interculturalité. « La mise en équation de tels concepts délocalise le débat et le situe au-delà des frontières, dans la connaissance, le savoir et le respect de l'autre », déclare en substance l'un des organisateurs. Cette problématique rejoint en quelque sorte celle des organisateurs du troisième colloque international ayant pour thème « histoire, mémoire et identité en Afrique : écriture et réception », qui a eu pour cadre l'université d'Oran. Le professeur Badra Lahouel et son équipe ont proposé à la réflexion et au débat un certain nombre de questions relatives à l'histoire, à la mémoire et à l'identité en Afrique. Parmi ces dernières, figurent la perception de l'histoire de la mémoire et de l'identité qui s'affichent dans les textes africains et sur l'Afrique, les formes que revêtent leur réécriture et leur (re)lecture dans les écrits des différents champs des études et les procédés déployés pour leur réappropriation. Les nombreux universitaires algériens et étrangers, qui ont pris part aux travaux, ont tenu à souligner le caractère essentiel de la manifestation. Une nouvele culture de l'histoire Histoire, mémoire et identité représentent trois notions indissociables et interdépendantes de la pensée humaine. Elles investissent actuellement la sphère intellectuelle la plus large en Afrique. Leur quête se situe au carrefour de nombreuses disciplines : anthropologie, sociologie, littérature, sociolinguistique, didactique... La corrélation de ces trois notions ouvre un espace de productions de nature scientifiques très diversifiées. Certes, la profusion et la diversité des écrits embrassent le champ des études qui est encouragé tout particulièrement par le développement inouï des technologies de la communication numérique et la transhumance des hommes et des biens à travers toutes les contrées de la terre. Les diverses interventions ont donné lieu à d'innombrables questionnements portant sur les démarches à suivre pour réhabiliter en Afrique le passé, sans se fermer au présent et à l'avenir, ainsi que sur la méthode à suivre pour réconcilier les identités et la collectivité humaine, sans se livrer à la marginalisation et sans tomber dans le jeu des « identités meurtrières », pour reprendre l'expression d'Amine Maâlouf. Les problèmes de croisements, d'hybridité, et d'hétérogénéité caractérisent bien notre ère. « Ces questions sont à l'ordre du jour, plus que jamais, dans un régime mondialisé qui semble bousculer les spécificités, les particularismes et les identités par un amalgame savamment entretenu à travers les facteurs de la standardisation et de l'uniformisation du mode de vie et de pensée des hommes à l'échelle du monde », dira en préambule l'organisatrice de la manifestation. Les intervenants qui se sont succédé n'ont eu de cesse de revenir sur ces phénomènes en mettant l'accent sur leur nouvelle réception et leur nouvelle (re)lecture ; réception et (re) lecture déterminées par une approche post-moderne et post-coloniale toute récente de ces facteurs de civilisation que sont l'Histoire, la mémoire et l'identité. Ces dernières dimensions vont émerger à travers les formes d'une nouvelle culture de l'histoire, de la mémoire et de l'identité. La réflexion contemporaine est intarissable sur le passé, le présent et le devenir des hommes et suscite de plus en plus des inquiétudes et des interrogations dans les domaines de la recherche et de l'écriture. Il est donc important que l'université algérienne s'ouvre, de plus en plus, à ces problématiques contemporaines. Il est souhaitable par ailleurs que leur traitement soit intégré aux enseignements pour actualiser les connaissances des étudiants.