Les guichets de rectification d'état civil sont pris d'assaut ! Depuis l'introduction du biométrique, les défaillances de transcription des registres, qui passaient jusqu'alors inaperçues, jaillissent au grand jour. Et, dans les tribunaux, ce sont les mêmes scènes auxquelles assistent, dépassés, les préposés aux guichets. Il est un peu plus de midi dans l'une des salles du tribunal d'Alger. L'ambiance n'est pas à la joie. « Cela fait plus d'une heure que je patiente afin de déposer mon dossier, mais c'est la pause- déjeuner ! », fulmine une mère de famille, en s'installant sur l'un des sièges de la salle d'attente. Au guichet n° 10, unique en charge des dossiers de rectification d'état civil, l'agent, debout, est en grande conversation avec des récalcitrants. Il est intransigeant. « Revenez à 13h, c'est fermé ! », s'énerve-t-il. Et de marmonner : « Déjà que ça n'arrête pas. » Dire qu'il y a foule est un doux euphémisme. « C'est la cohue ! », soupire, en s'épongeant le visage, l'agent. « Depuis que la filiation sur deux générations est exigée afin d'établir la nationalité ou encore le 12S, nous travaillons sans discontinuer. Cette matinée, par exemple, j'ai eu à traiter une centaine de dossiers, et ce en sus des demandes de retrait », raconte-t-il. Mais comment expliquer que ce phénomène ait pris une telle ampleur ? « Les fautes et autres incorrections ont de tout temps existé. Seulement, lorsqu'il ne s'agissait que d'une lettre mal placée ou d'un "alif" supplémentaire, il était aisé d'établir ses papiers malgré tout. Aujourd'hui, avec les exigences de l'unification des données individuelles, aucune différence n'est tolérée », croit-il savoir. « L'une des raisons de ces discordances, en plus du "recopiage" à la diable que les services d'état civil effectuent, est l'arabisation introduite au début des années 1980 », affirme-t-il. De même, l'informatisation des registres semble avoir révélé non seulement les incohérences contenues dans ces données, mais aussi et surtout les piètres capacités de maniement de cet outil par les employés des services d'état civil. « Hier, j'ai passé près de cinq heures d'affilée dans une APC, livret de famille en main », raconte une jeune femme, qui attend la « réouverture » du guichet, grosse serviette sous le bras. « Je dois rectifier le prénom de mon père et ce pour toute ma fratrie. Et expliquer à un agent que tel prénom ne se traduit pas ainsi, et qu'un autre ne prend pas de "B" n'est pas une sinécure », affirme-t-elle abattue, en brandissant un extrait de naissance « raturé à l'ordinateur ». Et la justesse de transcription n'est pas l'unique défaillance décelée par la jeune fille. « Ils se sont même trompés sur le statut marital de ma mère ! », s'esclaffe-t-elle. Vingt jours au maximum… ou plus ! Inévitables, ces procédures le sont. Toutefois, la saison estivale n'est certainement pas le moment propice à ces « points sur les i » avec son identité. « D'ordinaire, cela ne prend pas beaucoup de temps. Deux ou trois jours tout au plus. Mais comme nous sommes en période de congé judiciaire, il faut compter près de 20 jours », assure le guichetier du tribunal d'Alger. Parfois même plus. Ce jeune homme, au tribunal de Hussein Dey, a appris à ses dépens qu'il ne faut que rarement se fier au quitus délivré par l'administration algérienne. « C'est la deuxième fois que je me présente à ce guichet afin de récupérer le jugement qui a été établi en ma faveur », s'exclame-t-il, dépité. Mais il n'est pas au bout de ses peines. Après de longs instants d'attente, accoudé au comptoir, pressé contre d'autres citoyens, la guichetière paraît enfin. C'est avec stupeur et un brin d'agacement qu'il reçoit, en retour, le même bout de papier des mains de cette dernière. « Pas encore prêt, il faut revenir », assène-t-elle avec un sourire de circonstance, contrit et désolé. Le jeune homme tente de demander des explications à la fonctionnaire, mais en vain. Elle a déjà tourné le dos, tout affairée qu'elle est à s'occuper de la dizaine de citoyens agglutinés derrière les grandes vitres. « Se doter de patience… ou d'un bon contact ! » Cette épreuve est beaucoup plus aisée lorsque l'on connaît « quelqu'un » derrière les vitres. Au grand dam d'une femme d'un certain âge, debout devant le guichet avant même que la préposée ne s'installe derrière son bureau. Lorsque celle-ci surgit, elle tend son quitus sans résultat. C'est alors que se présente une autre citoyenne, qui lui « grille la politesse » en bonne et due forme. Celle-ci demande à voir une autre employée. Qui l'accueille avec force bises et salamalecs. Puis elle reçoit le dossier, devenu prioritaire. Sous le regard ahuri de la première citoyenne, qui réussira tout de même à récupérer son jugement plus d'une demi-heure plus tard. Mais là, surprise ! « Ils se sont encore trompés ! », lance-t-elle, mi-atterrée, mi-amusée. « Ils ont rectifié la faute originale, mais en ont fait une autre », se plaint-elle, après, évidemment, une longue attente. L'on s'en doute, ces tracasseries administratives auront parfois coûté aux concernés plus que du temps, des allers-retours entre les différentes administrations ou encore des heures d'attente. « Je devais renouveler mon passeport afin de partir en vacances en Tunisie. Seulement, avec toutes ces histoires de pièces d'identité biométriques et de certificat 12S, j'ai eu la surprise de découvrir des discordances de noms », relate une mère famille. « J'ai bien entendu été dans l'obligation de tout annuler et de consacrer quelques jours de mon congé à régler ces problèmes », résume-t-elle dans un haussement d'épaules. Que faut-il faire ? Une employée au tribunal de Hussein Dey nous explique la procédure : « Il est exigé une requête manuscrite au procureur de la République de l'arrondissement où a été établi le document erroné, dans laquelle la rectification est clairement stipulée. Pour le reste du dossier, tout dépend de l'erreur commise. Il faut un acte d'état civil avec la bonne orthographe ou la bonne information, le sexe, le lieu de naissance ou autre. Cela, en sus de l'acte d'état civil qui comporte l'erreur, le livret de famille ou l'acte de mariage. De même, il est exigé la photocopie de la carte d'identité. Et, le plus important, de la patience est indispensable, ainsi qu'un minimum de temps libre… » Peut-on garder l'erreur ? Certaines incorrections de patronyme ou de prénom remontent à des générations. Un « N » mal calligraphié dans les années 1920, recopié en M, et l'erreur est perpétuée durant des années. « Le nom de mon père a été gratifié d'un M supplémentaire. J'ai gardé ce M, mes enfants aussi », s'inquiète un citoyen. « Aujourd'hui, devrais-je, pour prouver ma filiation, rectifier le nom erroné, ou pourrais-je continuer à le porter ? », s'interroge-t-il, sans trouver de réponse. Pour une autre jeune femme, confrontée au même dilemme, la solution est toute trouvée : « S'inquiétant de la lourdeur de la procédure, le chef de service d'une APC m'a conseillé de garder l'incorrection contenue dans le nom de ma mère. Mais c'est hors de question ! » tranche-t-elle.