Ils sont nombreux ceux qui n'écartent plus le scénario à l'égyptienne qui verrait la «rue» se rebeller contre Ennahdha. Tunis De notre correspondant L'assassinat de Mohamed Brahmi et l'exécution d'une patrouille de l'armée tunisienne à Chaâmbi ont créé un climat de tension, qui dépasse celui de la veille de la chute de Ben Ali. La grogne populaire monte contre les échecs à répétition d'Ennahdha. Les islamistes se mobilisent. La Tunisie est-elle aux abords de l'irréparable ? Les belligérants de la crise politique en Tunisie ont réservé ce week-end aux dernières grandes mobilisations avant l'Aïd El Fitr prévu jeudi. En effet, les islamistes d'Ennahdha appellent, ce soir, à un grand meeting à la Kasbah, devant le siège du gouvernement, pour exprimer à ce dernier leur soutien. Demain soir, ce sera au tour de l'opposition de mobiliser ses partisans sur la place du Bardo, devant l'Assemblée nationale constituante (ANC), pour réclamer la dissolution du gouvernement. Les deux camps remplissent la rue. Mais «la raison de l'opprimé l'emporte sur celle de son oppresseur, car elle est juste», explique une vieille dame, venue au sit-in «Errahil» (le départ). «Le peuple a fait la révolution pour voir sa situation s'améliorer. Or, les prix ont monté d'une manière vertigineuse durant ces trois dernières années. L'emploi est devenu plus rare», déplore-t-elle. «L'opposition mise sur les échecs à répétition de la troïka gouvernante pour mobiliser des sympathisants à sa cause», constate Robert, un journaliste américain, installé depuis trois semaines en Tunisie. «L'actuel gouvernement est issu d'une Assemblée élue. Il ne peut être confirmé ou désavoué qu'à travers des élections. Ces manifestations essaient de consacrer un putsch en Tunisie, à la manière de l'Egypte», écrit Mohamed Hamrouni, rédacteur en chef du journal Dhamir, hebdomadaire proche d'Ennahdha, devenu quotidien pour les besoins de communication en cette phase de crise. Réponse de Zied Krichen, rédacteur en chef du Maghreb : «En effet, il n'y a de solution qu'à travers les urnes. Mais c'est Ennahdha qui ne veut pas aller aux urnes, à ce que je sache... Nous en avons assez des promesses et des dates fantômes (23 mars 2013, 16 juin 2013, 25 juillet 2013, etc.). Il faut installer un gouvernement de technocrates pour réaliser ces élections. Le peuple n'a plus confiance. Si les islamistes ont la légitimité des urnes, ils n'ont pas confirmé sur le terrain. Le peuple veut retirer sa confiance à ses élus.» Risques de dérapage Nous sommes donc face à une rue divisée, une presse partagée et une haute tension, alors que les activités de l'Assemblée nationale constituante sont bloquées depuis le 25 juillet, jour de l'assassinat de Mohamed Brahmi. Le gouvernement de la troïka ne sait pas où donner de la tête. Pour essayer de démobiliser la contestation, il est même allé jusqu'à accorder des vacances d'une semaine à la Fonction publique, à l'occasion des fêtes de l'Aïd. De toutes les façons, conscient de cette longue rupture, le secrétaire général de la centrale syndicale, Hassine Abbassi, a accordé à Ali Laârayedh, lors de leur dernier entretien, une semaine de répit, «pour choisir le moyen de dissoudre le gouvernement et les suites à donner à la feuille de route de la société civile». Abbassi a été délégué pour ces négociations par le Front de salut national, composé des principales organisations de la société civile et des partis de l'opposition. La tension est donc à son comble à travers tout le pays. Il est clair que le parti Ennahdha a peur de reculer. Il craint de voir s'effondrer tout l'échafaudage que les islamistes ont bâti durant plus de 18 mois de gouvernance. Mais faire perdurer la pression se fait ressentir de manière négative par toutes les sphères de l'économie, surtout avec la multiplication des tentatives d'attaque de terroristes. Entre l'attachement d'Ennahdha à sa mainmise sur l'Etat et les attaques terroristes, la Tunisie tremble.