- L'article 51 du projet de révision de la Constitution stipule que «la nationalité algérienne exclusive est requise pour l'accès aux hautes responsabilités de l'Etat et aux fonctions politiques». Cette disposition a été rejetée par des représentants de la communauté algérienne établie à l'étranger. Pourquoi une telle réforme constitutionnelle à ce moment précis ? Quelles en seront, selon vous, les conséquences ? Si l'on renverse cette équation juridico-idéologique (article 51 de la Constitution), je pense qu'on comprendra, du point de vue de la psychanalyse, de l'histoire du nationalisme algérien, l'essence même des formes idéologiques hégémoniques qui ont toujours structuré la raison d'Etat. Les lois régulent, créent des représentations et fondent des relations avec la nation et ses institutions. Or, dans le cas de cette Constitution et notamment ses articles 51 et 73, deux nuances se dégagent autour des compétences professionnelles algériennes : celles qui sont installées ailleurs sont douteuses et celles qui sont ici sont crédibles. Or, les bons et les mauvais Algériens sont partout. Seuls le patriotisme, la compétence, l'altruisme, l'engagement citoyen peuvent les distinguer les uns des autres. Rien ne peut être déconstruit sans l'histoire, puisque sans l'histoire on finit par raconter des histoires. De ce point de vue, il faut rappeler que depuis 1994, année de la chasse aux cadres en passant par différentes affaires (Khalifa, Sonatrach 1 et 2, etc.), la mémoire douloureuse de ces derniers a accentué la fuite des cerveaux et surtout augmenté le volume de ce que j'appelle les «foyers migratoires dormants» en Algérie. De mon point de vue, le problème de la nationalité n'est qu'un alibi de méfiance et de jeu politico-politicien. Le vrai enjeu, le vrai débat pour l'Algérie, c'est l'autonomisation des corps socioprofessionnels du politique et des pouvoirs publics pour se transformer en corps socioprofessionnels partenaires et non clients de l'Etat, apportant de la valeur ajoutée au pays sans prendre en considération le critère de la nationalité. Cette loi empoisonne l'esprit même de cette Constitution et contredit les discours politiques sur le retour des Algériens et des compétences professionnelles en particulier. La méfiance, la cooptation, la manipulation, le doute et l'oubli ont toujours caractérisé la relation des pouvoirs successifs vis-à-vis des Algériens installés à l'étranger. - Des mesures ont été prises plusieurs fois pour «faire participer les compétences algériennes établies à l'étranger dans l'effort de développement du pays». Un portail dédié à l'élite de la diaspora a été mis en place et des rencontres ont été organisées pour attirer les «porteurs de science et de connaissance». Pourquoi toutes ces actions et d'autres n'ont pas abouti ? La révision constitutionnelle ne risque-t-elle pas de compliquer les initiatives à venir ? Je vous confirme que cette logique juridico-idéologique (article 51) alimente davantage la mémoire de méfiance, accentue la problématique des retours en Algérie et augmente le volume des foyers migratoires dormants des compétences algériennes d'ici. Différentes contributions et réactions dans la presse nationale (en janvier 2016) de la part d'Algériens installés à l'étranger ont dénoncé le caractère discriminatoire de ces deux articles du projet de révision de la Constitution de 2016. Un site web documenté a été même dédié pour dénoncer cette exclusion (www.constitueproject.org). Le hasard fait que cette situation se complique davantage pour les Algériens par un autre projet de loi-polémique en France sur la déchéance de la nationalité des binationaux. La polémique a poussé, rappelons-le, la ministre de la Justice française, Christiane Taubira, à démissionner du gouvernement de Manuel Valls. Ce hasard fait que l'espace migratoire des Algériens est doublement problématique. Il ressemble aux deux facettes de la même pièce de monnaie, notamment pour l'Algérie qui a hérité d'une vision jacobine de l'Etat français. De ce point de vue, on ne peut comprendre l'immigration sans l'émigration et vice-versa. L'histoire de l'Algérie est plurielle, il suffirait d'un bon gouvernant, qui ait le sens de l'histoire, pour transformer ce sens commun en un vrai projet de société, où l'Algérien, où qu'il se trouve et quelles que soient sa croyance et ses convictions, apportera dignement une valeur ajoutée pour son pays d'origine. - Certains font remarquer que l'intelligentsia de la diaspora ne s'engage pas assez. Est-ce vrai ? Et si c'est le cas, quelles en sont les raisons ? Je dois vous confirmer — sur la base d'une longue enquête de terrain que j'ai réalisée en France entre 2008-2011 avec de hautes compétences algériennes — que leur volonté et leur attachement au pays sont sincères. Des tentatives individuelles existent, mais les personnes concernées sont livrées à elles-mêmes. Le climat des affaires, l'anachronisme des banques, la bureaucratie étouffante, un système éducatif sinistré, la marginalisation des compétences nationales exilées de l'intérieur, l'absence de volonté politique… ont créé l'inertie, bloqué des initiatives. Tout cela prend en otage une société qui veut s'émanciper. La manipulation, l'infiltration et la cooptation de certaines associations, personnalités et hautes compétences algériennes diasporiques, depuis l'indépendance à nos jours, se sont ancrées dans la mémoire douloureuse et méfiante de toutes les générations diasporiques algériennes. - Comment pour faire venir les compétences de la diaspora ? Faire évoluer les mentalités, changer les textes, réformer l'économie et l'école… ? Il faut juste un projet de société où l'individu-entrepreneur est institué par le politique (Etat de droit) et incorporé dans la conscience épistémique de la société. L'hégémonie à la fois idéologico-politique et communautariste a créé une inertie dans la dynamique des trajectoires des individus-entrepreneurs (compétences) et un blocage violent dans la dynamique de l'histoire de la société algérienne.