Ce qui nous anime, nous Algériens qui suivons, par paraboles interposées, la campagne électorale pour la présidentielle française, c'est un double sentiment, d'envie et de rage. Au-delà de nos préférences, pour la droite ou la gauche, nous ne pouvons que rester admiratifs devant la qualité et la diversité des débats électoraux. L'Etat politique a su s'effacer devant l'Etat technique afin de garantir une saine compétition, spécialement au niveau de l'audiovisuel, public et privé, poussé à une neutralité sans faille. La société tout entière a été entraînée dans une ambiance électorale passionnante car constructrice. En bout de course, le verdict des urnes, nul ne le contestera car il traduira le choix, sans dévoiement, de la majorité des Français. Certes, il est impensable que l'Algérie, d'une poignée d'années de pluralisme politique, puisse subir la comparaison avec la France d'aujourd'hui, qui est l'aboutissement achevé de luttes démocratiques s'étalant sur plusieurs siècles. Mais la jeunesse d'une nation n'excuse pas son sous-développement politique. Bien des pays sortis d'ères de glaciation ou nouvellement surgis sur la scène internationale ont su rapidement se mettre au diapason de la modernité et de la démocratie. C'est le cas en Europe de l'Est. Au lieu d'être prometteuse, la sortie de l'Algérie du parti unique, fin de la décennie 1980, a été ratée : sur ses décombres, l'ancien système a pu trouver des forces inespérées pour s'accrocher et dévoyer la belle idée du multipartisme. La profusion de partis, sans ancrage social, a eu comme fonction de noyauter les quelque formations politiques réellement représentatives, notamment celles porteuses d'un projet démocratique. L'incursion de l'intégrisme religieux puis de son bras armé ont figé le pays dans le conservatisme, la violence et le repli sur soi. L'Algérie d'aujourd'hui a une apparence pluraliste, mais une réalité tout autre : omnipotent, l'Exécutif politique, incarné généralement par le président de la République, laisse peu de place au bon fonctionnement des contre-pouvoirs. Le jeu du pluralisme a été faussé par la mise à disposition, au sein d'une alliance, de l'Exécutif de forces partisanes qui contrôlent un Parlement transformé en caisse de raisonnance. Fermé, l'audiovisuel public ne laisse apparaître aucune des lames de fond qui traversent la société algérienne. Coupée de la sphère politique qui fonctionne par elle-même et pour elle-même, la population a fini par faire le choix de vivoter dans l'anarchie et le « débrouillardisme » individuel. Forcément, les enjeux électoraux ont perdu tout sens et sont naturellement orientés vers la fraude. Les scrutins sont l'expression d'une vie politique, pas une fin en soi. Prévues dans trois mois, les législatives 2007 ne risquent pas de connaître meilleur sort que les élections antérieures.