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Les violences en Algérie : Une ère de fragmentations
Publié dans El Watan le 08 - 07 - 2008

Les distorsions du champ social en Algérie s'articulent à une marge de risques élaborés dans la réduction des solidarités et des appartenances et dans la prescription ou le développement de paradigmes divers : dogmes religieux, dissidence et contestation des pouvoirs politiques, quête identitaire, migrations, exurbanisation, politisation de la précarité et des ethnies, violences sociales, rituels régénérateurs et mortifères, socialités cohésives ou séparatrices, esthétique marginale et esthétisation de la vie communautaire, organisations psychopathologiques, conduites compulsives et suicidaires, désaffiliations, durcissement des dépendances, détestation.
Ces premières indications situent des mouvements de fragmentation et de fracture, des frontières internes, souvent des folies rencontrées et prescrites, actées par les sujets les plus fragiles en perte des attaches impératives à la vie. D'innombrables ponctuations des pratiques sociales du champ algérien contiennent des indications de déliaison et de révolte. Ces situations émergent dans les aménagements difficiles de la vie qui marquent l'inadéquation des transitions proposées à une société coupée de ses références fondatrices. Il est possible d'entrevoir les nombreux dérèglements du champ social dans la répétition de demandes de réparation politique, psychosociale et symbolique. La réappropriation des territoires de croyances et de pratiques magiques souligne une quête de Dieu portée par une foi païenne, transgressive, mêlée de sexualité et de rédemption jubilatoire. Dans quelles limites faut-il rechercher des correspondances entre les souffrances psychiques et sociales des acteurs sociaux, lire le sens de leurs solitudes et de leurs reconstructions ? Comment reconnaître et nommer les loyautés, les deuils et les langages organisés dans une requête sourde ? Ces questions interrogent les déplacements inattendus et incompressibles des hommes, le renoncement des femmes et des enfants, la mutation des groupes et des structures sociales déterminée par une nostalgie mélancolique. Ainsi, dans l'Algérie actuelle, les lois et la rationalité politique sont prescrites comme des alternatives à la souffrance des personnes. Les détresses individuelles et collectives sont mesurées à la filiation des traumatismes, mais elles marquent aussi la fermeture de l'information et des émotions. Un système de déraison assure le recours fondamental à la survie des sujets face à l'exclusion, aux précarités multiples et à la perte des dignités et montre l'indicible de haines historiques ou circulaires. Ces séquences de la vie soulignent des oppositions rigides et récurrentes entre des organisations insulaires et totalitaires. Cette fragmentation des réseaux et des stratégies de la vie sociale et psychique, chaque fois fondée par la recherche d'une altérité imaginaire, est une source de folies singulières. Il est possible d'indiquer des segments porteurs du travail de fragmentation :
1. Un protocole de fragmentations
De nombreuses lectures des conjonctures instables et du développement de lignées violentes sur la scène sociale algérienne s'attachent à inférer les effets de l'histoire immédiate du pays, ceux notamment de l'émergence du terrorisme. Dans de nombreuses situations, il est possible de relever que le terrorisme dans ce pays est plus vieux que la majorité des acteurs de la violence. Par ailleurs, les effets supposés de la période terroriste ne sont pas encore apparus. Pour une raison de logique structurale. Les violences actuelles expriment le désarroi des pères et la déchéance de leurs fonctions biologique, sociale et symbolique déléguées aux enfants dans un procédé psychique inconscient où les enfants sont appelés à se substituer à leurs parents. Les fils agissent sur ce dérèglement normatif de leurs géniteurs. Par contre, ils produiront, eux, les acteurs d'une autre violence effectivement ressourcée aux effets et aux références du terrorisme. Ainsi, la vocation de kamikaze forgée chez des enfants ne constitue que l'expression symptomatique d'un travail latent de dramatisation et d'identification de catégories hostiles ou haïes. Il faut donc entrevoir une possible correspondance entre l'émergence du terrorisme et les développements de la scène sociale dans une vision prospective. Certes, les nombreuses exactions terroristes ont pu produire des réactions évidentes de stress profond chez les victimes et probablement des traumatismes psychiques liés à la difficulté de se reconstruire et de se reconnaître ou d'être reconnus par autrui. Très souvent, les résilients, les personnes qui entrent dans un travail de remédiation sociale et psychique, échouent quand ils se sentent submergés par la pression à la suradaptation. Car la capacité d'une personne à être résiliente n'obture pas les souffrances déléguées dans une zone de secret et de non-dit et attachées au sursis incertain du regard social et à la possibilité que détient chacun de nommer un jour la béance, de révéler la culpabilité et de montrer l'indicible. Cette occurrence est trop vraie pour les enfants sans parents et sans filiation pour les précaires et les habitants de la marge. La personne blessée peut se reconstruire, mais elle crée dans ce mouvement une nouvelle dépendance, un réseau de références occultes et d'attentes suspendues. La résilience est alors une forme de résignation, de soumission et d'incorporation d'un système de normes, de puissances et de contraintes élaborées dans la rationalité des contextes sociopolitiques psychiques et éducatifs. Cet ordre de la soumission exclut la personne et fonde une ségrégation humaine entre les catégories qui réalisent un travail formel de reconstruction et d'autres moins bien préparées et maintenues dans l'enlisement. C'est le cas de nombreuses personnes, enfants et adultes, sans ressorts de séduction, d'entraînement relationnel et émotionnel : personnes sans attraits, malades précaires et déchus, victimes et handicapés qui auront perdu la capacité d'être seuls et la possibilité de transactions et d'alliances nouvelles pour être reconnus et réhabiliîtés. Cependant, le travail de mémoire traumatique est attaché essentiellement aux ressources de la transmission des douleurs et des secrets. Ce travail de transmission, régi par des procédés structuraux organisés dans l'affectivité, le langage, les objets psychiques, esthétiques, spirituels, sociaux et politiques, s'appuie sur la règle archaïque de la fragmentation. Aussi, est-il possible de situer que le contexte psychosocial et politique algérien est entré dans une ère de fragmentation qui figure un processus incident de réajustement des réseaux et des contenus mémoriels ainsi qu'une finalité réductrice et différentielle. Cette fragmentation est transcrite et agit dans une multitude de codes symboliques et opératoires de l'identité, du corps, des lignées spirituelles et politiques, de la règle d'autorité, des réseaux de la filiation ainsi que des référents biologique, émotionnel et éthique. Elle marque un travail de décohabitation et de désaliénation.
2. Un rituel de violence
En Algérie, les violences sont consacrées dans les relations de gouvernance, dans la vie familiale et conjugale, dans l'univers de l'enfance ainsi que dans la formation de modèles d'apprentissage déviants ou limités. Il est possible de rapporter l'existence et la croissance de la violence, dans ses formes psychosociale et politique, aux conjonctures d'affrontement, de précarité et de solitude, d'abandon et d'oblitération des liens. Mais, pour être opératoire, cette clarification doit situer les étagements structuraux de la violence, ses modes de représentation et de maturation dans l'imaginaire psychosocial. Ainsi, aujourd'hui, des enfants apprennent des conduites hautement violentes, actées et symboliques : délits qualifiables, usage de drogues, prostitution et errance, travail précoce. Il n'y a plus d'enfance, ni de frontières entre les diverses attributions de l'autorité. Dans de nombreuses situations, les adolescents dictent les règles de la famille et du groupe social. La violence situe un mode de communication, aux univers intérieurs et extérieurs, élaborée dans une logique de protection et de marquage vital des différences ethniques, socioéconomiques et culturelles, politiques et spirituelles. Une explication structurale existe concernant l'émergence et l'évolution du paradigme symbolique et opératoire de la violence. Cette explication s'attache au déficit de l'imaginaire de la loi et à la fragilité des gages, supposés ou réels, de la règle de justice, de partage, de protection des dignités, des libertés et des différences. Il semble alors que le manque de référence d'autorité dans la scène sociale, familiale, judiciaire et politique souligne le déficit de l'Etat de droit qui ouvre à chacun la latitude de bafouer les lois. Il s'agit d'une dimension de l'angoisse collective marquée par des réorganisations prédatrices, violentes et grégaires. Concernant la réalité algérienne, la caractérisation conflictuelle du groupe social d'appartenance est à souligner. Les jeunes qui détruisent ou se détruisent luttent contre un sentiment de mort prescrite par leur propre communauté. Ils récusent ses symboles multiples, ses lois ainsi que ses appareils de pression et de contrôle. Cette lutte est dirigée contre les références oppressives de la culture d'origine qui souvent barrent l'accès à la qualité de personne. L'illustration de ces pratiques, devenue classique, est consacrée par divers marqueurs : violence dans l'environnement du sport, délinquance et perversion de la vie sexuelle, mouvements d'émeute, errance et pratique de la « harga » porteuse d'un profond message de transgression, recherche de nouveaux ancrages religieux, géographiques et identitaires. Les migrations vers de nouveaux espaces, lieux réparateurs et rives imaginaires, constituent pour les contingents de harraga une alternative de reconstruction identitaire et de contournement des sentiments de perte et de désaffiliation. De nombreux territoires figurent des escales récurrentes et magnifiques de fantasmes célébrés dans une noria, festive et funèbre à la fois, spectaculaire et impérative. Après l'épuisement des vocations spirituelles de guerres saintes afghanes, les mers et leurs éléments aquatiques, la conversion chrétienne, représentent les nouveaux lieux de croisement, de prise de risques et de purification de nombreux candidats à l'errance. Ces territoires de délivrance existent pour des sujets sans attributions, dissidents, diseurs marginaux et vagabonds en incessante transition. Il paraît utile de noter que c'est de ne pas ressembler aux modèles idéalisés socialement et symboliquement qui pousse les individus et les jeunes, particulièrement informés des réussites subites, vers l'exil et l'affrontement. On pourra marquer aussi la connotation hautement dramatique des actes suicidaires en Algérie et le message de finitude des espérances qu'ils indiquent. Mais les frustrations et les détresses générées par l'environnement socioéconomique ne sont pas assimilables au décès psychosocial où s'opère le recul des dignités et se développe l'opacité des communications. Ainsi, les régnants ne connaissent pas la délibération publique. La fragmentation du principe de gouvernance réside dans l'exclusion de l'autre et dans le cloisonnement de l'information. De nombreux foyers de violence se construisent et s'inscrivent dans une durée imprévisible. Ces occurrences violentes apparaissent dans le travail de fragmentation des usages de la vie communautaire et dans les transformations normales et pathologiques du champ psychosocial. Ainsi, la conjoncture actuelle du champ psychosocial algérien est marquée par un mouvement de profonde dépression.
C'est une conjoncture de deuil.
Cette qualification paraîtra paradoxale face aux clameurs des richesses du pays, des réussites fulgurantes et des innombrables satisfecit. Mais ce sont des aménagements de surface et de survie où les riches se découvrent plus nantis et les pauvres davantage exposés à l'humiliation. Il s'agit de deuil attaché aux douleurs contenues, aux fractures des émotions, à la perte des enfants et des pères et au renoncement à soi. Beaucoup d'Algériens vivent dans un sentiment d'enclavement et d'insularité dans un système de périphérie qui désigne un ensemble complexe d'organisations de vie, de production, de relations, de stratégies de permanence et d'occupation de la scène psychosociale. Divers ensembles dans la société ont créé leur périphérie mentale, affective, géographique, politique, spirituelle ou ludique. Au plan des adaptations psychologiques, la périphérie est le lieu où se résorbent les douleurs et les frustrations et se reconstruisent les alliances et les rapports de force. Du point de vue de la qualification psychopathologique, la violence est une forme de travail de deuil. Deuil des identités, des appartenances et des valeurs. Ainsi, des Algériens ne se sentent plus appartenir à ce pays ni à ses références. La violence les libère des entraves historiques des souvenirs, des émotions et des dépendances. Car il n'existe plus de communion du sens de la vie partagée, ni des valeurs, ni des rêves. Les solidarités sont disqualifiées au profit des procédures prédatrices et mutantes. Le sentiment de dépossession est partagé et relayé par des structures sociales entières : les terres ne sont plus leur bien, ni les enfants leur chair, ni le pays leur maison, ni leur foi un sacrement, ni l'appartenance nationale une qualité dans un contexte où la préférence va aux binationaux.
3. Des dysfonctions familiales
La vocation tutélaire du contexte familial et son rôle de socialisation des individus apparaît aujourd'hui, pour le cas de l'Algérie, éclatée, surannée, dévitalisée et confrontée à des organisations substitutives politiques, contestataires, militantes et marginales. La mutation du prédicat familial est articulée à la grande mobilité des formats et des contextes de la vie sociopolitique, économique et culturelle. Les dysfonctions familiales constituent un segment de la déconstruction du champ familial. Le dérèglement des réalités familiales s'appuie sur divers indicateurs de perte des références spatiales, sémiotiques et historiques qui confèrent de nouvelles caractéristiques subjectives et opératoires à travers la décomplémentarité de la vie du couple, le déplacement des fonctions parentales et de leur représentation imaginaire, la conflictualisation des interactions et l'estompage des frontières de l'autorité. Ainsi, la défamilialisation s'accompagne de productions psychosociales réfractaires, d'organisations marginales et de conflits violents, particulièrement dans le contexte des jeunes adolescents à travers le déni de l'autorité directe et symbolique, les conduites homicidaires ou suicidaires et la recherche d'exils et de géographies de reconstruction. De nombreux procédés, dans la famille, concourent à la formation de sentiments de réjection, d'étrangeté et de culpabilité. Les sentiments de perte et d'abandon générés par le vécu familial situent des résolutions atypiques et des facteurs psychopathologiques (dépressions, conduite d'isolement, difficultés scolaires, fugues et migrations traumatiques). Les fonctions familiales se trouvent inversées et des adolescents, encore enfants, s'érigent contre leurs géniteurs. La configuration de la déconstruction du champ familial spécifie que les acteurs sociaux cessent de s'identifier aux mythes organisateurs et aux valeurs psychiques ou historiques de la famille, cessent d'appartenir à leurs parents et regardent des univers complexes et divergents de la réalité intérieure, porteuse de secrets et de limitation de la personne, et de la réalité extérieure faite d'ouverture et de conversions publiques. Les situations d'arrêt et de deuil dans la famille appellent des dispositifs d'interdépendance et de solidarité. Ce principe est essentiel quand les membres d'une famille ou d'un groupe social sont exposés, individuellement ou collectivement, à des épreuves de rupture, de conflits traumatiques et de résistance vitale. Ces dispositifs, effectifs ou imaginaires, servent à redistribuer les rôles et les fonctions d'accompagnement et de tutorat. Cependant, des membres et des sous-groupes dans la famille peuvent être distribués marginalement ou dans des rôles dépréciés. C'est souvent le cas pour les personnes fragiles dans la famille, qui portent ou rappellent les échecs familiaux et les disgrâces et pour lesquels s'amenuisent les interactions et le capital d'estime. Dans ces conjonctures de réduction des solidarités, beaucoup d'enfants et d'adolescents ne se sentent plus appartenir à leurs familles ni partager les affinités émotionnelles et les frontières qui la fondent. Ce mode de différenciation, dont l'effet peut être diffus ou traumatique, produit chez l'adolescent la recherche de nouvelles filiations identitaires et sociales à l'intérieur de nouveaux systèmes de transactions rituelles et émotionnelles intégratives. Cette recherche de reconstruction s'apparente à un deuil où l'adolescent renonce à la relation parentale et aux propositions du groupe social. Le vécu de deuil marque un sentiment de perte et une pression de la réalité que le jeune sujet est incapable de gérer. Ainsi, le deuil est une période de mise en risques pour l'adolescent où la vie perd son sens et sa valeur. Le développement est perturbé et l'adolescent perd les repères identificatoires et affectifs indispensables à la formation de son unité psychique et à son intégration dans les fonctions communautaires. Cette incidence est le plus souvent portée par le corps qui devient le segment d'expression des souffrances internes et de la perte des espérances. Le marquage du corps traumatique, sacrificiel ou esthétique est un métalangage que les adolescents investissent massivement et revendiquent comme un territoire intime et le refuge à la destruction des liens protecteurs dans la famille. Les adolescents séparés de leurs figures d'attachement et de filiation s'abritent dans les limites d'un corps souvent réfractaire ou violent. Cette réappropriation de l'espace familial et public à travers le corps et ses répliques mutantes est une tentative pour se remettre au monde, renaître à soi et aux autres et prendre une part dans la communauté.
4. Une légitimation du corps sexuel
Il est possible d'établir dans le contexte algérien une période de vide corporel ainsi qu'un dérèglement des logiques et des objets de la libido et des identités sexuelles. Le voilement du corps féminin y a figuré une gradation nouvelle dans la récusation de l'érotisme. Cependant, le voilement du corps de la femme est d'allure paradoxale puisqu'il prolonge l'univers érotique et la génitalité de la femme et ravive des fantasmes oubliés et sublimés. Aussi, le voile montre plus qu'il ne cache. Parmi les procédés de contournement du sentiment d'étrangeté chez les adolescents algériens, l'investissement du corps, son exposition publique et son esthétisation érotique constituent une légitimation nouvelle de la qualité de personne et d'acteur social, communautaire et politique. Le corps, son substrat biologique, s'érige en un nouveau totalitarisme. Cette émergence de l'appareil corporel, porteur de revendications libertaires, a accompagné d'autres transformations de la scène sociale : sociopolitiques et économiques, spirituelles et culturelles. Il n'est que de rappeler pour le cas précis des jeunes Algériens, de la transition dramatique des années 1990 et son tribut à la vie. La formation des communications esthétiques du corps a connu une gradation de références et de mises en actes dans le champ visuel. Ainsi, du « nasf-essaq » et du « hidjab chari'a » orthodoxes aux « hidjab-corsaire », « string-hidjab » et style »star-Ac », des mutations nombreuses du code dogmatique et des stratégies sémiotiques sont apparues dans les mentalités et dans la scène sociale. Ces mutations véhiculent les pulsions de vie portées par les enfants contre l'inclination dépressive des parents.Il est notable que l'avènement du corps sexuel, sa socialisation dans la scène algérienne, son expressivité et son marquage sociopolitique, indique d'une part l'entrée dans une nouvelle ère de partage idéologique et sociétal et succède d'autre part à un processus doctrinaire constitué d'affrontements et de démembrement des appartenances. La résurgence des vocations sexuelles du corps, portée essentiellement par les jeunes, ainsi que l'érotisation de l'image dans l'apanage du jeans-string-hidjab et du kamiss-boxer soulignent l'ouverture d'un territoire de transgression et de fragmentation des interdits et des produits de pression imposés à la puissance attractive des vies psychiques et sensuelles, par de nombreuses années de rigorisme inhibiteur ou castrateur. Aussi, l'avènement du corps sexuel est inscrit dans un rapport paradoxal de prescription du dogme (voilement du corps ou d'une partie du corps) et de pratique libertaire (érotisation du corps). Il marque également le mode de construction d'un contre-pouvoir, dans les champs familiaux et sociaux, exprimé par les enfants contre la tutelle des pères et contre la censure des prédicateurs. La médiatisation, forte du paradigme sexuel, correspond à la pression du biologique où s'opère un déplacement des termes de la compétitivité sociale. Les valeurs intellectuelles, de lignage, spirituelles et économiques ont reculé devant le déferlement des formats esthétiques corporels, féminins et masculins, porteurs de désir et de désirabilité, devenus les seuls indicateurs discriminants. Le coefficient d'adéquation esthétique, établi à la mesure du capital biologique et des modèles médiatiques, est ainsi un gage puissant de socialité, d'appartenance, de reconnaissance et de promesse de vie.
5. Socialité haute, socialité basse
Il est possible aussi de relever le déplacement opératoire des lieux d'inscription des requêtes des jeunes et de nombreux acteurs sociaux, souvent exprimées dans la violence, relatives à leur coefficient de visibilité et de qualification dans la scène sociale. Sur un mode diagnostic, les crises actuelles des jeunes adolescents, perceptibles essentiellement dans les symptômes bruyants et dramatiques du suicide, de l'exil et de l'errance, sont les signes d'appel d'une organisation latente des détresses qui pourraient être d'un effet plus marqué. Que dire des douleurs contenues des femmes, des blessures d'enfants abandonnés et maltraités et de l'effacement des pauvres et des porteurs de disgrâces ? Les politiques de gouvernance ne semblent s'attacher qu'aux effets spectaculaires qui occultent les réseaux souterrains où s'organisent les souffrances, la contestation et le passage à l'acte destructeur. Ces réseaux sont, pour le cas de l'Algérie, consacrés par l'école, les lieux de culte, la famille et les organisations insulaires. Toute sociothérapie devra alors envisager ces déterminations principales dans son action. L'ostracisme appliqué à la capacité de dire et à la qualité de personne, renvoie aux personnes la sentence d'une exclusion fondée sur la désaffiliation et sur l'impossible reconnaissance. Ce constat subjectif est partagé par beaucoup de membres de la société qui ne se reconnaissent plus dans la détermination du discours public, ni dans les actions des institutions de l'Etat, par ailleurs qualifiées de « khorti ». Ces entreprises sont mises en faillite par le dérèglement ou la rigidité de leur fonctionnement. De même que la contagion de modèles et de rites culturels interférants, les compétitions sociales d'ethnies et de classes affectent gravement les attaches et la cohabitation habituelle des personnes, particulièrement les jeunes adultes, avec des valeurs résidentes, celles du travail, de l'estime et de l'honneur par exemple, au profit de lignées égocentriques et discriminantes. Cette occurrence est marquée en Algérie par les pratiques d'exil social et culturel élaborées par des parents de la filière bourgeoise et petite bourgeoise qui transfèrent leurs enfants et leurs biens vers l'étranger, en prévision de rupture subite. Cette capacité de renaissance, de reconstruction et de perpétuation est reconnue et garantie pour des catégories d'Algériens, qui représentent le vivier des héritages de pouvoirs, de capitaux et de prébendes institutionnelles et déniée à la majorité sociale. En l'absence d'une parité dans la citoyenneté, les investissements consacrés par l'Etat, par ailleurs considérables, demeureront aléatoires. De même, les sentiments d'injustice, de misère affective, sexuelle et sociale, de manques économiques et culturels seront encore longtemps les ressorts d'un ressentiment latent, que de nouvelles générations viendront porter et mettre en actes.


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