Parmi les quartiers populaires de la capitale que le temps n'a pas affectés, El Madania figure en bonne place. Ses cités populeuses et ses ruelles restent animées jusqu'à l'aube et l'ambiance du quartier reste irremplaçable. Même si le lieu a connu, ces dernières années, plusieurs bouleversements, avec les opérations de relogement, notamment à Diar Echems, ceux qui sont restés, tout comme ceux qui sont partis, se retrouvent chaque soirée de Ramadhan autour d'une table, dans un café, ou dans une ruelle, ou en bas de l'immeuble, passant des heures et des heures à jouer aux dominos et aux cartes et à se remémorer le bon vieux temps. Profitant de la brise du soir, Smaïn et ses amis sont déjà plongés dans leurs interminables parties de dominos. Le thé et le kalbellouz agrémentent la soirée, dans une ambiance joviale. « C'est que durant toute l'année, on ne se croise que rarement », nous confie ce plombier de 45 ans. Ses amis le taquinent, en lui faisant remarquer qu'il est trop demandé, et qu'il lui faut une secrétaire pour organiser ses rendez-vous de travail. Smaïn fera la part des choses : « Le travail, ça ne se refuse pas, mais il faudrait bien avoir un peu de temps pour soi-même, pour ses voisins et ses copains, et le Ramadhan est l'occasion idéale pour cela. » Les femmes, quant à elles, préfèrent profiter de ces soirées, pour emmener les enfants sur l'esplanade de Riadh El Feth, histoire de leur permettre de jouer en toute sécurité, et pour elles, de s'offrir un bol d'air en compagnie des voisines. Alors que la compétition de la Coupe d'Europe bat son plein, beaucoup regrettent les horaires qui coïncident avec l'Iftar, à l'image de Nabil qui aurait aimé ne rater aucun match. « D'habitude, on regarde les matchs dans le café du coin, entre copains, et on crée une ambiance du tonnerre. Mais, là, les matchs se passent soit le matin, quand les gens sont assommés, soit en plein Iftar, alors beaucoup préfèrent carrément zapper cette Coupe d'Europe », déclare-t-il avant de lancer : « Heureusement que ce n'est pas la Coupe d'Afrique ou la Coupe du monde, sinon, c'est l'Iftar qu'on aurait zappé. » N'empêche, grâce à la 3G, Nabil et ses copains revoient les résumés des matchs sur leurs smartphones, entre deux parties de coinche. Les jeunes se réapproprient leur quartier, le temps d'un mois mémorable, sachant que le reste de l'année, chacun vaquera à ses occupations. Nabil nous raconte que même ses amis émigrés en Europe font tout pour venir, ne serait-ce qu'une semaine pendant le Ramadhan. Ceux qui ne peuvent pas le faire, sont constamment au téléphone, durant les soirées du mois sacré, histoire de ne rien rater. Rien ne semble perturber les soirées tranquilles, même si les lumières de la baie d'Alger qu'El Madania surplombe majestueusement, rappellent, aux uns et autres, qu'il existe une autre ambiance ailleurs. « On a toute l'année pour y aller », nous lance Omar, la trentaine, avant d'ajouter : « Mais, pendant le Ramadhan, c'est la houma avant tout. »