Tradition n N'étaient qu'odeurs de pains cuits dans les fours ancestraux à bois, de gâteaux aux amandes pour les demeures des familles nobles, de beignets frits, sfjendj ou khfaf dans les fo-yers modestes et la vieille ville heureuse en cette sainte nuit … Les mosquées, Djamaâ El Kbir, Djamaâ Safir, Sidi Ramdan, Sidi Abdel Rahman, Djamaâ el Barani et Djamaâ Essayda, le lieu de culte de la dame noble, tous portiques ouverts pour accueillir fidèles et pratiquants venus élever leurs mains et leur cœur vers l'Eternel. Leilat el qadr que les voies des cieux viennent à s'entrebâiller pour livrer le passage aux Etres de Lumière... Dzaïr et ses souks marchands, bruire de monde, ce petit peuple laborieux et humble des rues Erressassia, rue des ouvriers en cuivre et des plombiers, el Ferraghia, rue des serruriers, le bachmaqji, rue des cordonniers. Zankat el Dhaouda, la voie des fileurs d'or de connivence avec Zenkat Essiagha, ruelle des fabricants de bijoux d'or et d'argent. Zenkat el Nehas, venelle des ciseleurs du cuivre, complice avec Zenkat El Mesaissa, ruelle des façonneurs de bracelets de corne de buffles, toutes se faufilaient jusqu'à l'espace des teinturiers Zenkat Es Sebbaghin. Sais-tu le chant des femmes voilées sortant des hammams en cette Nuit du destin, laissant sur leur passage des volutes de parfum, «El aater», fragrances de senteurs de pétales pressées par les artisans parfumeurs ? Te souviens-tu de leurs chuchotements et rires dans le secret de cette nuit promise … heureuses de jeter des poignées d'encens et d'ambre dans les braseros rougeoyant des dernières braises ? Volutes aériennes qui iront voltiger sur les terrasses passées à la chaux, envahissant les passages discrets, nimbés d'une étrange clarté. Dans la confidence de la 27e Nuit Promise, épouses et jeunes ingénues passeront leurs paumes au henné, feuilles pourpres échappées du paradis. Entends-tu la parole du conteur murmurer, en s'éloignant, le verset bienheureux de Leilat El Qadr ? Il grimpera solitaire, jusqu'à la Citadelle, pour aller à la rencontre de l'Instant Attesté et de l'éclair bleu échappés des portes des sept cieux. Depuis la prière du Maghreb de vendredi dernier, le monde musulman est entré dans la dernière décade du mois sacré. Ces dix dernières nuits protègent un Secret, celui de la Nuit du Destin, Nuit bénie au cours de laquelle le Coran a été révélé au Prophète Mohamed par l'Ange Jibril. Qu'elle soit appelée «The Night of Destiny» chez les musulmans américains, «Kadir gecesi» en Turquie, «Laylatoul-Qadr» aux Comores, «Shabina» au Pakistan, elle reste la Sublime de toutes les nuits, meilleure que mille mois pour tous les musulmans du monde. Leila N. l Durant cette période sainte, nous rapprochant de la fête de la rupture du jeûne, le croyant est appelé à multiplier prières, méditation et offrandes aux plus démunis. «Certes, Nous l'avons révélé [le Coran] pendant la nuit du Destin. Et qui te dira ce qu'est la nuit de la Destinée ! La nuit de la Destinée vaut plus que mille mois ! C'est au cours de cette nuit que descendent, avec la permission de leur Seigneur, les anges et l'Esprit pour exécuter l'ordre divin. Une paix en elle jusqu'au lever de l'aube». Dans la tradition, c'est la veille du 27e jour du ramadan, qui reste la plus marquante par le redoublement des actes de foi et de repentir à la mosquée ou dans les foyers. C'est également en cette soirée que l'on aime à célébrer la circoncision des garçonnets, faire jeûner la première fois l'enfant en signe de baptême religieux, brûler du benjoin pour accueillir les Anges et bien d'autres actions cultuelles ou rituelles. Car il faut l'avoir attendue, cette Nuit plus belle que mille légendes avec le cœur de l'enfant que nous avons été, espérant que le miracle se produise, les yeux rivés au ciel étoilé jusqu'à ce que le sommeil vienne peser sur les paupières. Et tous les ans nous espérons son retour … Une paix en elle jusqu'au lever de l'aube.» L. N.