Abandon Le soir, autour d?une table au chaud, les SDF se découvrent, font des confidences, levant un pan de voile sur une tranche de leur vie qui a été à l?origine d?une longue errance. Hafida, 38 ans, dort depuis 19 ans sous les arcades du Boulevard des Martyrs ou dans les rues de la place Audin. Divorcée, elle a un enfant de 14 ans qui vit chez son père. Ses cinq autres, elle les a perdus à cause de l?extrême violence de cet époux qui la battait. «Je me roule dans la seule couverture que j'ai pour dormir .» «Rana sabrine», soupire-t-elle avant de reprendre : «Je travaillais chez une femme, j'étais dans de bonnes conditions avant qu'elle ne quitte le pays. J'ai une tante à Boudouaou, mais ses enfants ne veulent pas de moi.» Originaire de Ksar El-Boukhari (Médéa), Moussa, lui, a 18 ans et il est dans les rues depuis six ans. Il a déjà été recueilli par le centre de rééducation d'El-Biar où il a eu le niveau de 7e AF avant d?être transféré au centre Ras-Kellouche de Médéa jusqu'à la 9e AF.«Mais j'ai fugué, car les conditions à El-Biar étaient meilleures», dit-il. Il dort à Bab El-Oued où il travaille au Souk dlala, «quand il ne pleut pas, je gagne bien ma journée, 70 à 80 DA». «Pour venir manger ici le soir, c'est un peu loin. Et le restaurant de Bab El-Oued où des repas chauds et des fruits nous étaient servis a été fermé.» A 54 ans, Fadila, originaire de Guelma, souffre d'arthrose aux genoux. Elle se déplace au restaurant en compagnie de son fils de 13 ans à l?apparence trop calme pour son âge. «Mon fils ne me quitte plus depuis sa naissance», dit-elle. Khalti Fadila avait une maison au bâtiment 14 de Bab El-Oued effondré depuis deux ans Depuis, elle vit chez «des gens par-ci par-là». Ayant perdu ses papiers, elle cherche à les refaire, mais elle est mal orientée. Marié sans enfant, et ayant hérité d?une partie de la maison de ses parents, Hocine, 35 ans, l'a vendue, dépensé l'argent et est, depuis deux ans, dans les rues, chassé par ses frères et s?urs après le décès de ses parents. «J'étais bien avant la mort de mes parents», avoue-t-il. Son épouse vit chez ses parents à l'étroit. «Quand je gagne de l'argent du travail journalier au port, entre 300 et 400 DA, je le donne à ma femme pour qu'elle puisse les dépenser en cas de maladie ou les cacher. Mais si je ne gagne rien, je ne vais pas la voir», dit-il. Hocine dissimule soigneusement la couverture remise par le Croissant-Rouge dans une petite cabine d'électricité cadenassée. «Je viens au Croissant-Rouge manger, j'ai toujours trop faim, mais je n'ose pas aller au restaurant demander de la nourriture, car ils n'acceptent pas. Il peut arriver que je demande un plat de loubia ou de lentilles, mais sans viande, si j'avoue après l'avoir mangé que je n'ai pas d'argent, je peux, avec un peu de chance m?en sortir sans trop de dégâts.»