Une gestion non restrictive de l'information (peut-il en être autrement ?), les images de l'horreur répercutées quasiment en temps réel par Internet, une campagne de recrutement choc menée via le même outil par l'«EI», l'Etat islamique plus connu sous son acronyme arabe de Daech, la découverte qu'une main qui a décapité sans trembler un soldat syrien est celle d'un Français «de souche», un discours politique plus alarmiste que préventif...il n'en fallait pas plus pour qu'un latent climat de psychose s'installât. Un Français «BBR» (bleu blanc rouge), respectable Normand apprécié de ses copains et voisins, chez les criminels de Daech ! D'abord incrédules, les citoyens français, mais aussi leurs responsables politiques et leurs medias, n'avaient d'autre position à adopter que celle de se rendre à l'évidence : un Français bourreau au service d'un employeur atypique par sa cruauté et sa sauvagerie. Après la stupeur, place au ressaisissement et à l'analyse. Première à faire les frais de la révélation, la patronne du Front national, qui assurait quelques temps auparavant, avec son air habituel de celle qui sait tout : «Le fondamentalisme islamique ne pousse pas dans les prairies normandes, voyez.» Hé bien, on peut en effet voir que le boucher de l'insoutenable vidéo de l'exécution du soldat syrien a un nom et un pays d'origine. Il s'appelle Maxime Hauchard, alias Abou Abdallah el-Firansi, est âgé de 22 ans et vient d'un village bordé de «prairies normandes». Bosc-Roger-en-Roumois, c'est le nom de la bourgade, n'échappe pas à sa géographie. Il est bien situé en Normandie, pas loin de Rouen. Plus grave (pour la fille de Jean-Marie Le Pen), d'après les services de sécurité français qui l'avaient longtemps pisté, ce n'est pas dans une mosquée qu'il a basculé dans le pire des intégrismes islamiques. Maxime Hauchard n'est qu'un élément parmi beaucoup d'autres d'une galerie macabre de jeunes français convertis à un certain islam et qui ne sont pas tous issus des banlieues difficiles en proie au chômage et à la mal vie. Beaucoup d'entre eux sont nés et ont été élevés dans des familles des classes moyennes, loin de tout environnement religieux. Alors, quand la chef de file de l'extrême droite française soutient dans ses ritournelles à répétition et frisant l'obsession que les jeunes binationaux (Algériens et Maghrébins visés en premier) sont les plus prédisposés à alimenter les cohortes des partants pour le djihad au Moyen-Orient, c'est un leurre politique qui est cyniquement mis devant l'opinion pour la mobiliser sur des objectifs fabriqués. A supposer même que les jeunes d'origine algérienne et maghrébine, par leur confinement géographique dans les zones les plus pauvres et criminogènes, soient parmi les plus réceptifs à l'endoctrinement intégriste, est-ce une raison pour exonérer l'Etat français de sa responsabilité, et d'abord d'une approche souvent tronquée, voire erronée de l'ensemble du problème ? Cette réalité d'ensemble, c'est essentiellement celle d'une absence de coordination sérieuse des Etats de l'Union européenne qui font face au problème chacun de leur côté. Aujourd'hui, on estime le nombre de jeunes européens activant dans les rangs de Daech entre 3 000 et 5 000. Le chiffre est énorme et jusqu'à présent, aucune riposte commune sérieusement coordonnée n'a vu le jour dans l'Union. Pourtant, s'il fallait localiser l'urgence quelque part, ce serait bien là. A. S.