Le metteur en scène a réussi à aborder un sujet sensible et d'actualité, dans une forme légère, mais amenant les spectateurs à la réflexion et à une certaine prise de conscience Le Théâtre national Mahieddine- Bachtarzi (TNA), a accueilli, mercredi dernier, la nouvelle production du Théâtre régional de Souk Ahras, Kechrouda (la décoiffée), écrite et mise en scène par Ahmed Rezzag, présentée devant un public nombreux. Comédie satirique, proposant un théâtre d'anticipation sur des événements qui se déroulent dans un futur lointain, la pièce aborde sur le ton de l'humour et du grotesque des sujets lourds de sens à travers un sous-texte puissant. Durant près d'une heure trente, les amateurs de théâtre ont ri et applaudi à maintes reprises en suivant les déboires d'une famille déjantée, dans un monde marqué par la déchéance de toute un peuple suite au tarissement de la manne des ressources pétrolières et gazières. En l'absence d'alternative et en raison d'un système sociopolitique qui s'est habitué à vivre grâce à la manne pétrolière, sans valoriser le travail et privilégiant la politique d'assistanat, le pays s'est retrouvé plongé dans une ère où les êtres errent en haillons et sont prêts à toutes les humiliations, quitte à perdre leur dignité, pour la survie. La pièce raconte les mésaventures, d'une famille vivant dans la misère et dont le père a du vendre la maison pour que sa femme retrouve la vue. Hélas, ironie de l'histoire, le chirurgien en charge de l'opération s'avère être un vétérinaire, un des derniers médecins avant l'effondrement du système éducatif. Il s'agit aussi de l'histoire de la fille de la famille, Kechrouda surnommée Soussa, qui a une liaison cachée avec Mansour, le garçon de café du quartier, honni par le père, mais qui, ensuite, retourne sa veste après avoir compris que ce «vaurien» de «kahwadji» possède une demeure. Il y a aussi d'autre personnages, pour illustrer la décadence de la société, à l'instar du frère M'Barek, le pompier qui se retrouve au chômage et mis à la porte par sa femme, et le collecteur des impôts, autoritaire, qui enlève le pantalon au père comme payement de la dime. Les talentueux acteurs Sabrina Korichi, Loubna Noui, Ali Achi Haouès, Mohamed, Riadh Djefafla et Zoheir Atrous, ont incarné avec brio les différents personnages de la pièce dans une direction d'acteurs impeccable. Une motion spéciale à Larbi Bahloul, qui a interprété le rôle de la grand-mère, celle qui par son âge avancé ose dire les choses dans un langage cru mais tellement pertinent. Ainsi, au-delà de l'instrumentalisation du rire et des situations comiques, Ahmed Rezzag a, encore une fois, réussi à aborder un sujet sensible, hélas d'actualité, dans une forme légère mais amenant incontestablement les spectateurs à la réflexion et à une certaine prise de conscience. A travers plusieurs clin d'œil allégés par le ton de la comédie noire, dans une scénographie signée Ramzi Badji, et des ambiances musicales, préparées par Adel Lamamra, le public est plongé au cœur de cette tragicomédie où, parfois, il vaut mieux en rire qu'en pleurer. En plus de tirer la sonnette d'alarme sur une situation économique d'une brulante actualité, la pièce aborde également divers sujet sociaux, à l'instar de la condition de la femme, de la corruption, du système éducatif et de la perte des valeurs patriotiques et humaines. Le metteur en scène confie à la fin du spectacle que «cette pièce est une modeste réflexion sur la valeur du travail et de la recherche», précisant à propos de la langue utilisée pour les spectacles, dont certain mot crus de l'argot algérien, qu'il s'agit de «repousser davantage les limites de la langue intermédiaire, offrant au propos des espaces d'expression plus réalistes ». Après une deuxième représentation, jeudi passé au TNA, la pièce clôture une tournée ou elle a fait escale à Mostaganem, M'Sila, Batna, El Eulma et Tizi Ouzou. D'autres dates et lieux seront prochainement annoncés. S. B