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Abdelhamid Benzine : une jeunesse au cœur de la résistance
Alors que se déroule le colloque qui lui est consacré, un livre vient de nous restituer ses souvenirs d'enfance et d'adolescence
Publié dans La Tribune le 05 - 03 - 2009

Omar Mokhtar Chaalal, dit le Tigre, a choisi de restituer ses longues conversations avec Abdelhamid Benzine sous forme de biographie romancée.
Il ne restait pas seulement dans son registre, la mémoire -le Tigre n'est pas historien, il ne voulait pas non plus faire œuvre politique ou idéologique-, il s'est offert les marges nécessaires pour parler de l'homme.
L'homme, Benzine. Il n'est pas devenu par hasard une étoile politique, une référence du journalisme, un militant unanimement respecté dans tous les cercles politiques, un écrivain du peuple qui a choisi de parler de l'héroïsme des gens d'en bas, des gens simples -des anonymes qui ont fait l'histoire, porté nos luttes nationales puis la guerre de libération.
A la base, il devait posséder des qualités exceptionnelles et une grande force morale qui lui ont tissé un destin national quand l'histoire l'a arraché à son terroir pour le projeter au cœur des convulsions qu'allait connaître l'Algérie.
Ce choix de la biographie romancée nous restitue ces qualités et ce destin de Benzine dans ce qu'il doit à lui-même et ce qu'il doit aux milieux qui ont agi sur lui, participé à la formation de sa personnalité, de ses idées, de ses convictions et tracé les repères et les frontières invisibles qui le protégeront de tout renoncement.
Elle nous le restitue dans ce maillage sans nous infliger de longs développements sur la culture et la sociologie de l'époque. L'image suffit à résumer, et Benzine avait le sens de l'image, le sens du récit, le sens de ce qui relève du fondamental, de la lame de fond.
Benzine a eu la chance d'avoir plusieurs naissances. Sa naissance biologique, bien sûr, dans un coin perdu des Babors, dans une famille aisée et lettrée. Pour des raisons qui nous étaient familières, à nous Algériens, sa grand-mère l'élèvera. Poétesse, elle le bercera des légendes de sa région et l'enveloppera dans la culture ancestrale. La poésie a fait partie de son premier univers. Elle lui donnera cette extrême sensibilité aux hommes et à la nature, qui vous rend concerné par tout malheur, toute injustice. Sa grand-mère l'a fait naître aux symboles forts de cette région où résonnaient encore les échos des résistances à la conquête et des paroles du cheikh Ahaddad.
Les trois naissances de Benzine
Il n'est pas anodin de naître aux symboles. Ils nous sont, à la fois, la matrice et le repère. Cet impalpable par quoi on reconnaît tout de suite celui qui l'a en partage -celui que nous avons en partage- à un geste, à un mot, à une tournure, à une attitude.
Et c'est par sa grand-mère que, partout où il ira, le peuple le reconnaîtra comme sien. Et que partout où il ira -mentalement ou dans les faits- comme un homme qui a porté notre peuple.
Cela aurait-il suffi ? Bien sûr que non. Confié à son oncle, cadi et fin lettré, Abdelhamid aura la chance insigne de quitter son terroir. En quelques images, l'Algérie colonisée est sous nos yeux.
Le bus qui les mène vers un dernier pèlerinage dans la maison ancestrale est poussif. De l'arrêt du bus, dans un douar, à la maison, le chemin est épuisant.
Le petit Hamid voit pour la première fois deux petits enfants -une fille et un garçon- quelques chèvres. Presque nus, maigres, osseux, pieds nus. On ne confie que les souvenirs qui nous marquent, et cette rencontre avec la misère ne sera pas la dernière.
Hamid passera avec son oncle au souk hebdomadaire. En cinq images, le tour est fait. Le barbier-dentiste-poseur de ventouses- hidjamiste peut-être- qui nous résume l'accès des Algériens à la santé coloniale. L'homme du Sud attaché au rituel du thé, vendeur de dattes voisin d'une vieille Kabyle vendant son huile et ses produits témoins des routes commerciales des ancêtres. La demande en
mariage à l'ombre d'un grand arbre qui témoigne d'une civilité et d'une culture au langage raffiné des aïeux. Une bagarre entre camelots de produits miraculeux pour la santé. Et, enfin, dans ce douar perdu, un fripier. Un fripier qui vend des fripes américaines. L'Amérique déjà. L'Amérique dans un arrière-pays perdu. Voilà le monde que Abdelhamid va quitter pour se rendre en ville. Un monde codé, ritualisé, solidaire. Pauvre mais repérable et sécurisant.
Son oncle poursuivra l'œuvre de grand-mère. Béjaïa offrait le cadre et le prétexte de parler du passé prestigieux de la ville, du passé prestigieux arabo-musulman. Il avait de quoi se sentir fier, une arme pour ne pas sombrer dans l'aliénation coloniale.
C'est sa deuxième naissance. Mais la ville le mettra face à face avec le colon. Face à l'école. Mais aussi face à face avec ses habitudes, ses idées, ses conduites, ses pensées. Elle le mettra face à face avec le colon par l'intermédiaire de la violence. Dans cette ville, les enfants algériens se font la guerre pour s'approprier l'espace. Ils sont la projection précoce de la violence que le colonisé exerce sur le colonisé. Indigène contre indigène, vaincu contre vaincu avant que la conscience survienne. Hamid devra se battre pour défendre sa dignité mais se battre fut pour lui aussi le dispositif social pour s'intégrer, dans la bande, dans le quartier, dans la cité.
En quelques images, le roman rend la condition coloniale dans tout son spectre. La parade des colons sur la place Gueydon, leurs querelles politiques, l'antisémitisme violent des pieds-noirs, la montée du fascisme. Mais aussi la relation consubstantielle du colonialisme –de tout colonialisme– avec le racisme et le fascisme. Tombé amoureux de la belle Esther et deviné par ses copains, Benzine reçoit l'explication tarabiscotée qu'un musulman peut manger à la table des juifs mais pas épouser leurs filles et inversement pour les chrétiens. Il découvre un marquage religieux. Mais il découvrira aussi l'antisémitisme hideux des fascistes pieds-noirs, l'antisémitisme tel qu'on l'entend aujourd'hui et qui s'accompagnait dans l'expérience vécue par Benzine du racisme anti-arabe. Tout le génie narrateur de Abdelhamid est là, tout son sens de l'observation est là.
Le sens de la lame de fond
Dans le nouveau monde de Benzine, un cireur, un mousse, un fils de docker. Puis l'expérience majeure. La grève des dockers menée par le père de son copain. C'est ainsi qu'il a vu de près cette première empoignade entre colons et colonisés. Une grève et la répression. L'affrontement entre dockers et gendarmes. Les mains nues contre les matraques et les boucliers. Enfant encore, il pu mettre un nom sur sa condition : le colonialisme. Déjà son esprit est ailleurs. Il est totalement libéré de l'aliénation coloniale. Il ne s'en prendra plus à ses congénères. Désormais, il investira toute sa jeune force de préadolescent à trouver les moyens de frapper l'ennemi, la cause de toute cette misère, cette condition. C'est sa troisième naissance.
Elle coïncidera avec son départ à Sétif. Il y connaîtra l'internat mais surtout le PPA, une organisation, un instrument pour se battre, l'apprentissage de la lutte. Un homme y est en résidence surveillée. Mokhtar Omar Chaalal va donner plus souvent la parole à d'autres personnes que Benzine. C'est que le monde de Benzine se peuple, s'élargit, s'enrichit et par ce procédé littéraire Chaalal va rendre toute l'intensité des souvenirs de Abdelhamid. Cette façon de faire allège la lecture, ouvre le panorama, nous extrait de la vie de Benzine pour nous faire découvrir tout cet environnement qui va agir sur lui. Mais aussi et surtout elle nous découvre à quels types d'hommes, de femmes et à quelles conditions sociales il s'intéresse. On le sent marqué par tous ces destins tragiques qu'ould el khala rapporte ou que Benzine lui-même raconte. Benzine n'est plus que dans le tragique à peine adolescent.
Destins poignants d'Algériens exilés sur leur propre terre. Destins poignants d'Algériens contrariés dans toutes les dimensions de leur vie. Dans leur amour filial ou maternel, dans leur amour tout court, dans les gestes de la tendresse ou dans la recherche du pain. Jusque dans la recherche de la talghouda, cette racine indigeste même pour les bêtes mais qui alourdit l'estomac sans nourrir l'homme. Par petites touches, le panorama politique et social apparaît dans la réalité du terrain. La naissance de la conscience
nationale, les premières oppositions entre PPA et UDMA, la poussée unitaire commandée par les faits, la relative liberté des Sétifiens sous la présence anglaise, les efforts des militants pour trouver de nouvelles formes de lutte, de nouveaux terrains d'action. Benzine, vous l'avez deviné à ce qui apparaît de son caractère, mettra dans ces luttes toutes ses pulsions de bagarreur et la rigueur morale, la rectitude, l'abnégation, le sens du devoir que lui auront inculqué Tassaadit puis son oncle. Le sens du sacrifice de soi plonge
toujours ses racines lointaines dans le symbolique. Il connaîtra sa première arrestation. Il s'en tirera avec honneur. Cet honneur qui est la marque de sa vie, de toute sa vie. Mais, la guerre tirant à sa fin, tout se précipite. Pourquoi à ce moment-là, quand les nuages
s'accumulent sur l'Algérie, Aïcha va envahir la biographie-roman, Aïcha qui tenait de longs soliloques avec la locomotive ayant tiré le train emmenant au loin, si loin, son fils faire la guerre pour les roumis ? Pourquoi prend-elle dans la tête de Benzine et dans le livre tout cet espace, toute cette place ? Elle, puis Bouzid, puis les autres, puis d'autres encore, comme si, à ce moment de l'historie de l'Algérie, se levaient de plus en plus d'hommes et de femmes pour entrer dans l'histoire, pour faire l'histoire.
Benzine parlera plus d'eux que de lui. Erreur ! Il ne parlait de lui que pour parler d'eux. Le 8 mai 1945 se déroulera comme vous le savez mais avec des précisons : que nous avons tous besoin de relire. Une répression gigantesque s'abat sur les Algériens. Préméditée, préparée. Là encore les fascistes relèvent la tête. Ce qu'il sait, il le dit. On l'imagine très bien en train de recueillir les témoignages. Alors la répression cesse d'être un mot, terrible certes, mais un mot. Benzine nous donne des noms, des visages, des situations qui rendent cette répression visible à nos yeux, qui la rendent sensible dans notre chair et dans notre tête. Benzine échappera à une mort certaine dans les écuries transformées en prison par les soldats et d'où les miliciens venaient tirer les Arabes pour les torturer et les abattre. A partir de là, on ne peut plus restituer, il faut lire. La tragédie entre en soi. Nous n'avons plus en tête qu'une vérité : le colonialisme est un immense crime. Impardonnable.
Imprescriptible. Il est la barbarie de ces derniers siècles. Je vous propose deux extraits qui vous en diront plus. Aucune manœuvre stigmatisant les luttes de libération comme ethnicistes, voire racistes et fascistes, n'y fera rien.
Ce premier tome de la biographie romancée de Benzine s'arrête là, au 8 mai 45 quand il reprend contact avec Belouizdad et Ali Mahsas pour réorganiser le parti.
M. B.
Omar Mokhtar Chaalal, Talaghouda, Histoire romancée de la vie de Abdelhamid Benzine, Casbah Editions, Alger, 2009
E x t r a i t
Nous nous arrêtâmes au bord de la route, à l'orée d'une petite forêt qui longeait un immense champ nu… nous n'avions pas remarqué la femme et les deux enfants qui se trouvaient au milieu du champ…
La femme avait peur, elle sursautait au moindre bruit, au moindre mouvement…
Ses longs doigts fins continuaient pourtant à creuser la terre, une terre stérile … qui ne produisait plus rien, sinon cette tubercule indigeste qui remplit les ventres mais ne nourrit pas : talghouda.
Les petites mains des enfants accompagnaient celles de leur mère dans leur quête désespérée de survie… leurs corps menus restaient collés au sien pour mieux se prémunir contre la faim et la mort…
Un corps las qui refusait obstinément de se défaire des derniers vestiges d'une beauté éblouissante. La mère et le garçon étaient pieds nus. Ceux de la petite Zahra étaient emmaillotés dans des morceaux de sac en jute, entourés et retenus par des lanières de gros tissu. …Des collines surgirent soudain trois cavaliers, trois hommes armés. Le bruit des sabots frappant le sol dur attira son attention, ajouta à sa frayeur. Elle agrippa davantage le couffin et enveloppa ses enfants d'un bras protecteur.
Merde ! s'exclama Tayeb. C'est Armand, le fils du colon. Il est plus mauvais qu'un scorpion… Il ne se déplace jamais seul. Ses deux valets indigènes l'accompagnent partout, des félons aussi crapules et aussi lâches que lui.
Les cavaliers arrivaient sur les lieux au galop, comme s'ils allaient charger un ennemi puissant. Armand avança vers la femme, les deux autres restèrent en retrait, dociles et serviles...
Que faites-vous sur mes terres, toi et tes enfants ? dit-il d'un ton arrogant. De son regard avide, il la dénudait sans aucune gêne.
Elle rougit un moment puis se reprit.
Sidi, je suis venue déterrer quelques racines de talghouda. Mes enfants ont faim et mon époux est rongé par la maladie honteuse, que Dieu vous en préserve.
C'est ce que j'appelle une violation de domicile ! Si j'allais voir l'administrateur, tu irais en prison. Tout ce qui est sur mes terres m'appartient, même si c'est des racines de talghouda. Alors, rends-les moi, ou paye-les moi !
Oui, Sidi, je serai votre servante, je ferai votre lessive, je repasserai votre linge, je ferai votre ménage…
Non ! Pour cela il y a assez de moukères à la ferme. Il y a bien d'autres façons de payer quand on n'a pas d'argent. Bien que vêtue de haillons, tu es belle, et tu dois être assez intelligente pour comprendre. Si tu veux la talghouda, tu en connais le prix. Outré, Tayeb allait bondir. Je l'ai retenu et plaqué au sol à temps. N'oublie pas, ils sont tous trois armés, nous sommes deux, mains nues et handicapés. La femme avait compris l'allusion et, encore une fois, elle rougit. Un puissant sentiment de révolte envahit tout son être. Comment cet énergumène indigne pouvait-il penser pouvoir la souiller, elle la fille des Tolbas !
Il descendit de son cheval et d'un geste brusque lui arracha le couffin. Zahra, les yeux inondés de larmes qu'elle retenait dignement, la tira par son vêtement et lui dit :Viens maman, partons, papa attend !
Aussitôt, l'idée que le père de ses enfants puisse mourir sur un lit froid, faute de pouvoir manger, s'empara de son esprit, jusque-là lucide, et la fit reculer. Elle supplia alors le fils du colon d'avoir pitié d'elle. Il lui répondit par un sourire narquois de conquérant. Elle reprit le couffin, le donna à son fils et lui dit :Amène ta sœur et rentrez à la maison, je vais venir.
Leurs regards se croisèrent comme des éclairs une nuit d'orage. Celui de la femme était chargé de mépris, son regard à lui exprimait une appétence qui rappelait un rut d'animal. Elle se dirigea vers un fourré à l'orée de la forêt. Il la suivit haletant comme un chien de chasse. Le souffle rapide et saccadé, il laissait couler sur ses lèvres minces l'écume d'une salive dégoûtante. Avant d'arriver au bosquet, il se déculotta. Son ventre blanc libéra alors à l'air libre sa viscosité et ses bourrelets de graisse. Son corps, otage de l'instinct bestial, était traversé par des tremblements étranges.
Le petit garçon prit sa sœur par le bras. Il voulait lui faire quitter les lieux. Elle s'arracha à lui et resta campée sur ses frêles jambes, le regard, lourd de sens, pointé sur l'orée de la forêt. Le moment d'agitation passé, la femme apparut de derrière le boqueteau, le visage transparent et les yeux vides. Marchant comme un automate, elle ne vit pas sa fille, et sa fille, l'œil grand ouvert, ne la vit pas non plus. L'image de son père s'imposa à elle. Le visage en sueur et les yeux fiévreux, il la regardait affectueusement et posait un baiser sur son front nu. Alors, la petite fille cracha par terre et s'enfuit…
Biographie
Abdelhamid Benzine est né le 27 avril 1926 à Beni Ourtilane. Il entame son parcours dans les rangs du PPA en 1940 pour rejoindre en 1948 le MTLD. Au déclenchement de la guerre de libération, il est commissaire politique au sein de l'ALN. Il devient membre du comité central du Parti communiste algérien à partir de 1962, et rédacteur en chef d'Alger républicain dont il sera le directeur en octobre 1989. Benzine est auteur de nombreux ouvrages, dont le Camp, un témoignage publié en 1962 sur les conditions de sa détention, Journal de marche, ainsi que des récits : la Montagne et la Plaine, en 1991 ainsi que Lambèze, en 1989. Il a également participé à l'ouvrage collectif la Grande Aventure d'Alger républicain, en 1987. Il décède à Alger, au printemps 2003, à l'âge de 77 ans.


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